Nanterre (AFP) - Le reportage de "Complément d'enquête" consacré à Vincent Bolloré était-il diffamatoire? Mardi, le tribunal correctionnel de Nanterre a estimé que non et relaxé en conséquence son auteur et le groupe France Télévisions.

Dans ce reportage diffusé en 2016 sur France 2 et récompensé par le prix Albert- Londres, le journaliste Tristan Waleckx retrace le parcours de l'industriel, de la reprise de la fabrique familiale de papier à cigarettes OCB en Bretagne à la construction de son empire, en passant par la reprise en main de Canal" et sa présence en Afrique.

Le tribunal a jugé que dans huit passages de ce portrait-enquête, aucun des propos incriminés n'était "constitutif d'une infraction".

Et dans le neuvième passage, qui évoquait l'éventualité de "passe-droits" octroyés au groupe Bolloré dans un appel d'offres au Cameroun, même si cette "insinuation (...) peut paraître excessive", elle n'a été utilisée qu'en "plein exercice de la liberté d'expression du journaliste", a tranché le tribunal, soulignant "l'absence d'animosité personnelle" de celui-ci, la "prudence dans l'expression" et le "sérieux de son enquête".

Le tribunal a par ailleurs condamné les parties civiles Vincent Bolloré, Bolloré SA et Bolloré Africa Logistics à verser chacune 3.500 euros à Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, et à Tristan Waleckx, au titre des frais de justice.

Les prévenus avaient demandé à ce que les parties civiles soient condamnées pour "procédure abusive", mais le tribunal a rejeté leur requête.

L'avocat des parties civiles Olivier Baratelli a indiqué à l'AFP qu'il entendait "faire appel de l'action civile".

A l'audience le 4 avril, il avait fustigé un documentaire "à charge" contre son client et l'empire qu'il a bâti.

Devant la cour d'appel de Versailles, "nous apporterons la preuve que le jeune garçon que Tristan Waleckx a filmé (dans une palmeraie camerounaise) et qui prétend face caméra qu'il a 14 ans en avait en réalité presque 18 et était donc en âge de travailler sur ces plantations", a précisé le conseil. "Ce qui prouve qu'aucune précaution n'a été prise par Tristan Waleckx" pour recouper ses informations, a-t-il conclu, jugeant la décision du tribunal "critiquable".

- Procédures "chronophages" -

Dans le documentaire "Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien?", qui a demandé six mois de travail à son auteur, étaient mises en cause plusieurs séquences consacrées aux activités de la Socapalm, société qui produit de l'huile de palme au Cameroun et dont M. Bolloré est actionnaire.

Des sous-traitants, pour certains présentés comme mineurs, payés à la tâche, travaillant sans vêtements de protection et logeant dans des conditions insalubres, y témoignaient.

Le reportage évoquait également les conditions d'attribution d'une concession portuaire de la ville camerounaise de Kribi en 2015, le journaliste posant la question d'éventuels "passe-droits" ayant profité à Vincent Bolloré.

L'homme d'affaires de 66 ans a été mis en examen fin avril pour "corruption" dans une enquête sur les conditions d'attributions de ses concessions portuaires en Afrique de l'Ouest.

Tristan Waleckx s'est dit mardi "très soulagé" et "hyper heureux" de la relaxe même s'"il y avait une chance sur mille pour qu'on puisse perdre cette procédure".

"Ce que prouve aussi l'audience d'aujourd'hui, c'est que Vincent Bolloré attaque mais se fiche de gagner". "Il perdra forcément en appel mais ce qui l'intéresse", c'est "d'embêter les journalistes, de leur faire perdre du temps et de leur faire peur" en intentant contre eux des procédures "chronophages", a-t-il estimé.

"Nous espérons que cette décision mettra un terme (à ces) "procédures baillons+", a abondé l'avocate de la défense Juliette Félix.

"La liberté d'informer a gagné!! Trop heureuse pour lui et pour nous tous!!", s'est pour sa part réjouie la présentatrice de France 2 Elise Lucet.

Le 12 juin, le tribunal correctionnel de Paris doit cependant trancher le volet économique de ce dossier: M. Bolloré réclame aux mêmes 50 millions d'euros d'indemnisation pour atteinte à ses intérêts commerciaux.

Une troisième procédure est en cours au Cameroun, la Socapalm ayant attaqué elle aussi en diffamation Tristan Waleckx et France Télévisions.

AFP
Le 5 juin 2018

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