Cet article est le dernier de notre série sur la situation en Guinée. Pour retrouvez les deux premières parties, suivez les liens :

Longtemps restée silencieuse face à une situation politique explosive en Guinée, où le cortège de morts s’allonge inlassablement depuis près de deux ans, la communauté internationale commence timidement à se mobiliser. La perspective de sanctions est même envisagée, malgré les quelques signes d’apaisement dont semble faire preuve Alpha Condé. Dernière partie de notre dossier consacré au drame guinéen.

La France se mobilise tardivement

« La France n’a pas très rapidement défendu la position du peuple et des citoyens guinéens, car elle a, au contraire, tenté de trouver jusqu’au bout une solution pour faire changer Alpha Condé », explique le député Bruno Fuchs. Ce qui, dès le départ, semblait peine perdue. « Aucune diplomatie n’a de prise sur lui. Sa ténacité l’a amené, à la suite d’un long combat, à conquérir le pouvoir et à s’y maintenir au prix de toutes les roueries politiques » expliquait déjà le magazine l’Opinion, le 6 avril 2020.

Le 27 janvier 2021, le pays monte — enfin — publiquement au créneau par la voix de Jean-Yves le Drian. Le ministre des Affaires étrangères appelle la Guinée à « faire toute la lumière » sur le cas des opposants emprisonnés et évoque, pour la première fois et sans les détailler, la possibilité de prendre des « mesures », en partenariat avec l’Union européenne. Est-ce que le message est passé ? Oui, selon Thomas Rudigoz, qui affirme qu’Alpha Condé « a compris que la France et l’UE étaient déterminées sur cette question ». Va-t-il pour autant infléchir sa politique ? Rien n’est moins sûr.

“Le ministre des Affaires étrangères, à l’occasion des questions au gouvernement, aurait pu demander de manière solennelle que les prisonniers politiques soient libérés” (Sébastien Nadot)

Mais si la France connaît, en Afrique subsaharienne, une influence amoindrie, elle peut désormais compter sur l’Union européenne, avec qui elle est en capacité de parler d’une seule voix sur le dossier guinéen. En coulisse, la France tente de mettre le sujet à l’agenda. « Il y a aussi au sein de l’Union européenne un travail de la France qui doit trouver une concrétisation dans une position commune au niveau européen », suggère Sébastien Nadot. Un processus plus délicat, en revanche, au niveau de l’ONU. « Pour ce qui concerne les Nations Unies, la machine est pour le moment très grippée », poursuit le député.

Des armes réglementaires existent. « Lorsque le Président, et donc la Guinée, signe les accords de Cotonou, la charte de l’OIF, il s’engage à un certain nombre d’actions », affirme Bruno Fuchs. « La Guinée fait partie de cet accord, la France également » explique Sébastien Nadot. Les accords de Cotonou, adoptés par 79 pays, accordent une large place au respect des droits humains et à la promotion de la démocratie. Idem pour la Charte de la Francophonie, signée à Antanarivo en 2005.

Si elle crée de facto une rupture dans la retenue française par rapport à la Guinée, cette prise de position reste, de l’aveu, de Sébastien Nadot, bien policée. « Le ministre des Affaires étrangères, à l’occasion des questions au gouvernement, aurait pu demander de manière solennelle que les prisonniers politiques soient libérés », précisant que « ça aurait pu déclencher quelque chose ». Jean-Yves le Drian « n’a pas été explicite sur le sujet » reconnaît Thomas Rudigoz. Jean-Yves Le Drian « doit clarifier la position française en ne tenant pas un discours à Paris et un autre avec Alpha Condé. Ce double jeu, et ce manque de volontarisme politique, c’est quelque chose sur lequel la France ne peut pas s’honorer » affirme Sébastien Nadot.

“Je pense que depuis un an et demi, la France, l’UE, l’OIF, l’Union Africaine, la CEDAO, l’ONU, bref tout le monde, passent le message au président Condé donc à un moment, il faut passer à l’étape suivante” (Bruno Fuchs)

La voie diplomatique classique semble avoir fait son temps. Et ne pas avoir eu les effets escomptés sur Alpha Condé qui, malgré quelques signes d’apaisement, reste globalement sourd aux appels des organisations régionales africaines, des instances internationales et de l’Union européenne. « Je pense que depuis un an et demi, la France, l’UE, l’OIF, l’Union Africaine, la CEDAO, l’ONU, bref tout le monde, passent le message au président Condé donc à un moment, il faut passer à l’étape suivante » affirme Bruno Fuchs.

Le spectre des sanctions… et de ses conséquences

Des sanctions ? Une possibilité selon certains députés, qui a vocation malgré tout à rester une solution de derniers recours. « Dans une situation comme celle-ci, il faut à la fois ménager un processus de médiation et construire un processus de sanction, la carotte et le bâton », résume Sébastien Nadot.

L’histoire récente ne plaide pas en faveur des sanctions collectives, dont les conséquences sont souvent humainement très lourdes et les effets délétères, notamment sur l’accès aux biens fondamentaux. Ponctuellement, elles encouragent aussi les rhétoriques nationalistes qui, habilement, peuvent ranger les pays à l’origine des sanctions dans le camp des affameurs. Les discours anti-occidentaux du président Mugabe, nés des sanctions mises en œuvre contre le Zimbabwe, ont d’ailleurs forcé l’Union européenne à lever en partie les sanctions contre le pays en 2012. Ce phénomène bien connu de rally around the flag qui pousse la société civile d’un pays à se rallier autour du pouvoir, quand elle considère les sanctions injustes, rend la perspective de sanctions en Guinée peu probable. D’autant plus que le sentiment antifrançais gagne peu à peu du terrain dans le pays. Surtout, Alpha Condé a beau être un habitué des centres de pouvoir parisiens, il s’engage ponctuellement dans une rhétorique anticoloniale et antioccidentale. « Si sanctions économiques il y a, et qu’elles sont économiques, elles risquent de frapper de plein fouet les populations et pas le Président et son entourage » s’inquiète Sébastien Nadot.

En Irak, l’embargo total mis en œuvre par le Conseil de sécurité de l’ONU aurait entraîné, selon l’UNICEF, une hausse de la mortalité infantile du fait de l’effondrement des infrastructures civiles. La Guinée, qui ne brille pas par sa prospérité économique, pourrait connaître un scénario similaire. En 2018, le pays occupait la 175e position — sur 189 pays —, au classement de l’indice de développement humain. L’espérance à la naissance ne dépasse pas les 60 ans et plus de la moitié des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Malgré une croissance comprise entre 5 et 10 % ces dernières années, la redistribution des richesses n’est qu’embryonnaire et leur prédation par les élites politiques symptomatique des réalités du continent africain. Difficile, dans ce contexte, d’imaginer un embargo économique ou même un coup de frein aux aides au développement. « On a cette possibilité d’épée de Damoclès sur un gouvernement, qu’il soit guinéen ou autre, de couper le robinet des aides au développement, mais cela peut être catastrophique pour les peuples », abonde Thomas Rudigoz.

« Si des sanctions doivent être envisagées, ce sont des sanctions qui doivent être individuelles », poursuit le député. Frapper les dirigeants au portefeuille, en gelant leurs actifs et leurs avoirs, est une méthode d’action qui a pu faire ses preuves par le passé. « Au Venezuela. On avait estimé alors qu’un certain nombre de gens ne respectaient pas des principes démocratiques et, pour les toucher, on a gelé tous les avoirs qu’ils avaient à l’étranger pour une vingtaine d’entre eux » explique Sébastien Nadot.

De leurs côtés, les organisations supra-nationales semblent bien impuissantes. L’Organisation internationale de la Francophonie ? À travers son assemblée parlementaire, c’est une « institution qui n’est que consultative et qui constitue l’addition de délégations de députés élus dans leur pays » explique Bruno Fuchs, qui déplore une « assemblée qui ronronne », dont la mission, en termes de respect des droits humains, se cantonne à « faire des rapports qui ne sont pas suivis de faits ». Il plaide au contraire pour un élargissement de ses compétences et un rôle plus reconnu : « Aller dans les pays dans lesquels le processus démocratique et les constitutions ne sont pas respectés, faire des missions, constater ce qui fonctionne ou pas et faire des recommandations ». CEDEAO et Union africaine sont, globalement, restées bien silencieuses. Autant de structures au sein desquelles la France a, indirectement, tenté de faire pression pour faire plier Alpha Condé.

“Il reste un certain nombre de liens, notamment universitaires, beaucoup d’étudiants guinéens viennent étudier en France et il y’a des accords de réciprocité” (Thomas Rudigoz)

Si la France est restée si longtemps discrète sur le cas guinéen, c’est aussi pour maintenir ses intérêts dans le pays. Selon l’association Survie, la France et la Guinée ont signé des accords militaires bilatéraux, encore en vigueur et, face à l’offensive de certaines grandes puissances, comme la Russie et l’Arabie saoudite, elle cherche à maintenir son influence. Et le sous-sol guinéen regorge de réserves naturelles, notamment de bauxite, sur lesquelles lorgnent beaucoup de pays. Les influences culturelles mutuelles sont aussi très présentes. « Il reste un certain nombre de liens, notamment universitaires, beaucoup d’étudiants guinéens viennent étudier en France et il y’a des accords de réciprocité », explique Thomas Rudigoz. Et, depuis quelques années, les jeunes Guinéens trustent les premières places parmi les demandeurs d’asile en France, aspirant à rejoindre une diaspora de près de 45 000 personnes. Fuyant la pauvreté, le chômage endémique des jeunes et la violence du pouvoir, ils sont mal reçus en France, où leur immigration est jugée avant tout économique. Pour ceux qui restent, l’avenir ne s’annonce pas radieux.

lemonde-arabe.fr
Le 19 février 2021

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