L’accès à l’électricité est une priorité affichée par le président réélu, Alpha Condé. Un vaste chantier que le barrage de Souapiti doit permettre de faire avancer.
La prise électrique fichée dans le mur de la maison d’Aboubacar Sylla n’a jamais servi à rien. Sauf à entretenir l’espoir d’être, un beau jour, raccordé au réseau électrique. Une promesse faite aux Guinéens par Alpha Condé dès sa première élection à la présidence, en 2010, mais qui tarde à se concrétiser. En 2017, le taux d’accès des foyers à l’électricité était seulement de 29 % en Guinée, selon la Banque mondiale, et même de 3 % dans les zones rurales. Réélu le 18 octobre pour un troisième mandat, Alpha Condé continue d’afficher comme une priorité le développement du secteur énergétique, alors que le pays disposse d’un réseau fluvial exceptionnel pour l’hydroélectricité.

Même si leur prise électrique est encore inerte, Aboubacar Sylla, sa femme Mariam et leurs douze enfants peuvent témoigner, contraints et forcés, des efforts accomplis dans ce domaine. Il y a trois ans, ils ont dû abandonner leur village de Tagbe Corea, évacué puis englouti sous les milliards de mètres cubes de retenue d’eau du barrage de Souapiti, le plus grand de Guinée, à 115 km au nord de Conakry. Quelque 16 000 personnes réparties dans 92 villages ont ainsi été déplacées et relogées sur 19 nouveaux sites. Soit le plus grand mouvement de population de l’histoire de la Guinée indépendante.

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« Les murs de notre baraque menaçaient de s’écrouler, le toit tenait avec des pierres », rappelle Aboubacar. Aujourd’hui, le forgeron habite une maison de parpaings à Madina 2, un lotissement réunissant quatre anciens villages et construit spécialement pour les déplacés de Souapiti, à moins de 5 km de là. « On est mieux ici, même s’il n’y a pas d’école ni de mosquée, pas d’hôpital non plus, et que l’eau du puits n’est pas bonne », relativise Mariam. Avec le déménagement, un ressort semble s’être brisé. « C’est trouver à manger qui me fatigue, poursuit-elle. Avant, sur notre parcelle, nous avions des cocotiers, des mangues, des oranges, des noix de cajou… Maintenant je dois aller loin pour cultiver un peu de riz. » Les indemnités calculées sur le rendement de ses plantations sont parties en fumée. « J’ai fini ça en 2019j’ai tout mangé », concède Aboubacar en riant de son imprévoyance.

Des délestages sources d’émeutes

« Le programme de construction de logements et d’assistance alimentaire est plutôt une réussite, mais maintenant le principal défi est de rétablir les moyens de subsistance des populations touchées par la construction du barrage », reconnaît Paul Guilavogui, chef du plan de gestion environnemental et social du Projet d’aménagement hydraulique de Souapiti (PAHS), une structure créée pour l’occasion. Certes, l’impact humain de la construction de Souapiti n’est pas neutre, mais sans lui, comment imaginer faire remonter le très faible indice de développement humain, qui mesure la qualité de vie des 12,5 millions de Guinéens ? Le pays pointe actuellement au 174e rang (sur 189) dans le classement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

« Construire des barrages, ça prend du temps et ça coûte cher, mais on n’a pas le choix dès lors qu’on ne veut pas produire d’énergie à base de charbon », plaide Khalil Kaba, conseiller spécial chargé des grands projets à la présidence. D’autant que les délestages sont régulièrement source d’émeutes, comme en juin 2019 dans la banlieue de Conakry. « Le secteur énergétique, et principalement hydroélectrique, est vital pour nous, car nous avons l’obligation de développer une industrie de transformation », explique Malado Kaba, ancienne ministre de l’économie et actuelle présidente du Haut Conseil de l’autorité de régulation des secteurs de l’électricité et de l’eau potable en Guinée.

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Souapiti, construit par la China International Water & Electric Corporation (CWE, filiale du deuxième constructeur de barrages au monde, China Three Gorges Corporation) et financé grâce à un prêt de l’Eximbank chinoise à hauteur de 1,7 milliard de dollars (environ 1,4 milliard d’euros), devrait entrer en production d’ici à la fin de l’année. Sa capacité de 450 mégawatts (MW) permettra, à terme, de quasiment doubler la puissance électrique installée. C’est le troisième barrage construit en Guinée sur le fleuve Konkouré. Celui de Garafiri, érigé en 1999, est censé avoir une capacité de 75 MW, mais sa production est très souvent inférieure, en raison des influences saisonnières. Celui de Kaléta, mis en service en mai 2015, n’atteint pas non plus en permanence sa capacité totale de production (240 MW). Le gouvernement guinéen espère qu’en régulant le flux du Konkouré, Souapiti va permettre d’augmenter la capacité de Kaléta tout au long de l’année.

Des opérations de terrassement ont également commencé sur le site d’un quatrième barrage à Amaria, toujours sur le Konkouré. Ce fleuve concentre l’essentiel du potentiel hydroélectrique de la Guinée, parfois qualifiée de « château d’eau » d’Afrique de l’Ouest : 1 200 MW sur les 6 000 identifiés (à titre de comparaison, la puissance des dernières centrales nucléaires construites en France est de 1 400 MW). Mais surtout, il dispose de caractéristiques géologiques et fluviales propices aux gros ouvrages.

« Soulager les populations et les entreprises »

 

Le site de Souapiti, avec son verrou rocheux naturel, avait d’ailleurs été identifié dès les années 1950 par les ingénieurs d’Electricité de France (EDF). Le projet énergétique du colonisateur français était alors d’alimenter une industrie de transformation de la bauxite, dont le pays regorge, en alumine voire en aluminium. Il aura donc fallu près de soixante-dix ans avant que ce projet ne devienne réalité, avec les mêmes objectifs. « Souapiti ne couvrira pas tous les besoins, mais on aura fait un grand pas. Il soulagera les populations, surtout à Conakry, et les entreprises minières », explique Matho Victorian Sagno, ingénieur électricien au PAHS. A condition toutefois de résoudre la question de la distribution. « Le réseau actuel n’est pas formaté pour supporter la puissance du barrage », reconnaît l’ingénieur.

Ensuite, l’approvisionnement des foyers devra aussi passer par l’installation de compteurs électriques fiables pour espérer augmenter les recettes. « Le prix du kilowattheure guinéen est l’un des plus bas de la région », rappelle Malado Kaba. Encore faut-il que le consommateur règle sa facture. Ce qui est très loin d’être la règle, qu’il s’agisse d’entreprises ou de particuliers. Electricité de Guinée (EDG), société largement subventionnée par l’Etat, affiche ainsi un déficit chronique creusé par des tarifs trop bas, par l’obsolescence de ses installations mais aussi par la mauvaise gouvernance et la corruption de tout le système, qui permet à nombre de Guinéens de payer les agents d’EDG directement de la main à la main. « Il faut faire le ménage, mais c’est socialement explosif », concède une source chez EDG.

La consolidation des revenus du secteur énergétique reposera donc en grande partie sur l’exportation et la fourniture aux professionnels. « L’interconnexion de nos réseaux électriques avance au niveau régional. Cette intégration énergétique est fondamentale, plaide Malado Kaba. A eux deux, le Nigeria et la Guinée concentrent 40 % du potentiel hydroélectrique d’Afrique de l’Ouest. » Une notion irréelle pour Aboubacar Sylla et sa grande famille. Ce n’est pas demain qu’ils pourront renoncer à leur lampe à piles.

 

Lemonde.fr, Par Le 10 novembre 2020

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