Lamine a reçu une obligation de quitter le territoire français alors qu'il venait d'obtenir son CAP. Son patron, Alexandre Figard, se bat pour le garder.

«Si on m'enlève un jeune comme lui, c'est comme si on m'enlevait une jambe. Nous, les artisans, on a du mal à trouver des apprentis !», s'étrangle Alexandre Figard, maître boulanger de Besançon. «Lui», c'est Lamine Diaby, apprenti employé depuis octobre 2019 dans sa boulangerie. Après bientôt deux ans d'apprentissage, Lamine vient d'obtenir son CAP et la proposition d'embauche de son patron. Il doit signer ce lundi 12 juillet un nouveau contrat d'un an. Mais cette réussite a rapidement été ternie par la réception d'un courrier recommandé de la préfecture du Doubs, arrivé ce mercredi, rapporte L'Est Républicain : une obligation de quitter le territoire français (OQTF). « On a reçu comme un coup de matraque», témoigne, encore abasourdi, le maître boulanger.

Ces deux années passées à former son apprenti seraient-elles donc vaines ? Pour lui, Lamine s'était parfaitement intégré. «Une professeur note que c'est un moteur dans la classe ! Au travail, cela se passe très bien, il s'entend bien avec tout le monde dans l'équipe», appuie-t-il. Le nouveau contrat que Lamine doit signer ce lundi devait lui permettre d'obtenir une «mention complémentaire» en boulangerie spécialisée. Le jeune apprenti rêve ensuite de passer son brevet professionnel. «Mon but, c'est de le former et le garder dans l'entreprise. Et un jour, qu'il me remplace», souffle Alexandre Figard, qui confie être malade.

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La grève de la faim d'un autre boulanger de Besançon

Pas question pour lui, donc, d'entamer une grève de la faim, comme son confrère de Besançon. L'histoire d'Alexandre et de son apprenti ressemble en effet de façon déroutante à celle du boulanger bisontin Stéphane Ravaclay, qui avait entamé une grève de la faim début janvier 2021 pour garder son apprenti guinéen, Laye Fodé Traoré, menacé lui aussi d'expulsion. Une fois majeur, le jeune homme ne bénéficiait plus de la loi qui interdit d'expulser un mineur isolé sans papiers. Après 12 jours sans manger, la mobilisation avait pris une ampleur nationale. Une pétition en ligne partagée par le député européen Raphaël Glucksmann, suivie d'une tribune de la maire de Besançon cosignée par Omar Sy, Leïla Slimani, Nicolas Hulot ou encore Marion Cotillard, avaient fini par payer : l'apprenti avait pu obtenir un titre de séjour pour poursuivre ses études. Ironie de l'histoire : lui aussi a obtenu son CAP vendredi 9 juillet. La ministre du Travail Élisabeth Borne avait alors parlé de «cas particulier»... Le nouveau cas de Lamine semble pourtant lui donner tort.

Alerté par ce précédent, Alexandre Figard avait cru bon d'anticiper en écrivant, dès janvier 2021, à la préfecture du Doubs pour demander une régularisation de son jeune apprenti. À l'autre bout du fil du Figaro, le maître boulanger relit cette lettre à voix haute : « (...) Dès son arrivée dans notre entreprise , il a su faire preuve de beaucoup de compétence....» Un silence. Sa voix se brise. Il reprend, contenant avec peine son émotion : «À la fois sérieux et sociable(...) son niveau d'adaptation est impressionnant autant par sa compréhension de la langue française que son aptitude à effectuer rapidement les tâches demandées» La préfecture n'a jamais donné suite.

Soupçons de falsifications de documents d'identité

Les cas de Lamine et de Laye sont en réalité emblématiques de la situation de nombreux jeunes apprentis majeurs anciennement placés à l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui passent subitement sous un autre régime juridique, celle du Code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), plus restrictif. Études ou non, diplôme ou non, la moindre irrégularité administrative ne pardonnera pas. Et pour la Guinée, là encore, le même scénario se répète.

Comme pour Laye, la préfecture soupçonne ainsi une fraude dans les documents d'identité de Lamine. La police aux frontières a ainsi fait état d'irrégularités dans ses actes d'état-civil. Lamine, lui, assure que l'ambassade de Guinée a validé son extrait de naissance, lui fournissant une carte consulaire. Mais l'ambassade de Guinée, sollicitée par l'administration française sur l'authenticité des documents, fait la sourde oreille. Un scénario classique avec ce pays d'Afrique de l'Ouest, expliquent nos confrères de L'Est Républicain : les naissances n'y sont pas toujours déclarées, ce qui est interprété défavorablement pour les jeunes migrants, tandis que l'administration française soupçonne systématiquement des «fraudes documentaires» dans le pays.

Interrogée par Le Figaro, la préfecture du Doubs confirme qu'il y a de nombreux cas de jeunes guinéens obtenant des formations mais qui «pour des raisons légales», se voient menacés d'expulsion à leurs 18 ans, citant cette fois le cas d'Abakar Gassama, jeune apprenti cuisinier guinéen à Montbéliard, expulsé dans son pays en avril dernier, CAP en poche, au motif de «falsifications de documents d'identité à l'administration française».

Une association et une proposition de loi

Le maître boulanger Alexandre Figard se dit toutefois déterminé à se battre pour garder son apprenti. Il peut d'ores et déjà compter sur le soutien de son confrère Stéphane Ravaclay. Dès janvier, le boulanger a eu l'idée de lancer son association Patrons solidaires. L'objectif ? Venir en aide aux artisans et patrons des métiers d'artisanat dont les apprentis sont visés par des mesures d'expulsion. Le boulanger doit prochainement se rendre à Nantes, pour y rencontrer «une vingtaine de patrons - restaurateurs, carreleurs, électriciens - dont les apprentis ont reçu des OQTF».

Lui aussi assure que sa profession fait face à une pénurie de main-d’œuvre : «Le syndicat national des boulangers a enfin sorti des chiffres après ma grève de la faim : il y a 9 000 places d'employés non pourvues en boulangerie.» «On dit que les CFA (Centres de formation d'apprentis, NDLR) sont pleins. Certes, mais 70 à 80% des élèves quittent le cursus d'apprentissage. Avec 20% d'apprentis qui veulent continuer, on ne peut pas couvrir la France», ajoute-t-il.

Stéphane Ravaclay a par ailleurs travaillé avec le député socialiste de Saône-et-Loire Jérôme Durain sur une proposition de loi pour faciliter la régularisation des titres de séjour des jeunes apprentis étrangers, lorsque les patrons souhaitent les garder et qu'ils poursuivent leurs études «avec sérieux et régularité». La proposition de loi devrait être inscrite à l'ordre du jour d'ici la rentrée.

lefigaro.fr
L
e 11 juillet 2021

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