Le président d'Haïti Jovenel Moïse a été assassiné mercredi après que des assaillants armés eurent investi son domicile en pleine nuit, plongeant le pays dans une grande incertitude.

La nouvelle a d'abord été confirmée sur les réseaux sociaux par le premier ministre par intérim Claude Joseph, qui s'est ensuite adressé aux Haïtiens plus tard dans la matinée.

Évoquant un acte odieux, inhumain et barbare, M. Joseph a imputé l'exécution du président de 53 ans à un groupe d'étrangers qui parlaient l'anglais et l'espagnol. Il n'a évoqué aucune arrestation.

La femme du président, Martine Moïse, a été blessée dans l'attaque et est hospitalisée, selon M. Joseph, qui n'a pas donné plus de nouvelle de son état de santé. Les enfants du président sont en sécurité, a-t-il dit.

S'adressant aux Haïtiens en matinée, M. Joseph a déclaré l'état de siège, octroyant du coup des pouvoirs renforcés à l'exécutif.

Dans la stricte application de l'article 149 de la Constitution, je viens de présider un Conseil des ministres extraordinaire et nous avons décidé de déclarer l'état de siège sur tout le pays, a-t-il dit.

Généralement, quand on parle d’état de siège, il y a [des limites à] la liberté de circulation, il y a couvre-feu, et il y a aussi les militaires qui devraient, en principe, prendre le contrôle de la sécurité. […] Le premier ministre n’a pas explicité ce terme. Donc il reste à voir au cours de la journée comment ça va se traduire. 

Une citation de :Jean-Louis Sénat, journaliste au Nouvelliste et à la radio Magik 9

M. Joseph a assuré que cette mort ne resterait pas impunie. Il a promis que les auteurs, les assassins de Jovenel Moïse paieraient pour ce qu'ils ont fait devant la justice.

Ce sont la démocratie et la République qui doivent gagner. Les forces obscures vont perdre, a-t-il martelé dans son discours, prononcé en créole.

Il a néanmoins affirmé que la situation sécuritaire est sous contrôle, et que la police et l'armée assurent le maintien de l'ordre.

Stupeur dans le pays

Selon les premiers échos de Port-au-Prince, la situation demeure calme dans les rues. Selon le rédacteur en chef du quotidien Le Nouvelliste Frantz Duval, le choc et la stupeur sont les sentiments prévalents.

Les gens sont restés à la maison. Il n'y a pratiquement pas de trafic automobile dans les rues, et pas de piétons non plus pour le moment dans la grande région métropolitaine de Port-au-Prince. C'est l'attente et tout le monde craint un basculement dans un sens ou dans l'autre.

Une citation de :Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste
Deux soldats armés et cagoulés dans une rue.

Des soldats haïtiens en patrouille dans Pétion-Ville, le quartier où vivait le président assassiné.

PHOTO : LA PRESSE CANADIENNE / AP/JOSEPH ODELYN

Ça ne semble pas créer de tensions dans les rues, indique aussi Étienne Côté-Paluck, collaborateur de Radio-Canada en Haïti, dans une entrevue accordée depuis Cayes-Jacmel.

C’est surtout la consternation qu’on entend, même du côté [des membres] de l’opposition, qui étaient de farouches opposants au président Jovenel Moïse. On indique qu’on n’appelait pas à son meurtre.

Selon lui, un soulèvement populaire apparaît improbable parce que Jovenel Moïse n’avait pas une grande base populaire.

Donc, il n’y a pas de gens qui vont se soulever pour défendre son honneur. À l’inverse, […] l’opposition se retrouve finalement gagnante [soit] sans opposant, souligne-t-il.

Tous les aéroports, tous les moyens de communication, de transport, sont à l’arrêt. Tout le monde en est un peu à se demander ce qui va se passer. Mais on ne s’attend pas, en tout cas à court terme, à de grandes révoltes. 

Une citation de :Étienne Côté-Paluck, collaborateur de Radio-Canada en Haïti

L'assassinat de Jovenel Moïse plonge le pays plus loin encore dans l'instabilité. Jovenel Moïse avait nommé Ariel Henry à titre de nouveau premier ministre lundi, mais celui-ci n'était pas encore entré en fonction.

Selon Frantz Duval, Claude Joseph est en bonne position pour se maintenir en poste puisqu'il est le seul qui a une autorité, quelque chose qui s'apparente à une autorité, et que M. Henry [...] n'avait pas encore été installé.

[M. Henry] n'a pas de gouvernement, pas de ministres. Il n'a rien. Visiblement, il ne sera pas installé. M. Joseph était un premier ministre intérimaire sur le départ, mais c'est la seule autorité qui existe. Mais c'est sans doute une autorité qui sera contestée dans les jours qui viennent.

Une citation de :Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste
Un policier agenouillé marque un élément de preuve au sol.

Des policiers haïtiens sont à la recherche de preuves dans les alentours de la résidence de la famille Moïse.

PHOTO : GETTY IMAGES / AFP/VALERIE BAERISWYL

Un meurtre condamné partout sur la planète

Réagissant à la nouvelle, la République dominicaine a ordonné mercredi la fermeture immédiate de la frontière de 380 kilomètres qui la sépare Haïti sur l'île d'Hispaniola, selon une porte-parole du ministère de la Défense.

Ce crime est une attaque contre l'ordre démocratique de Haïti et de la région, a réagi le président Luis Abinader sur Twitter.

Selon le journal Listin Diario, le président Abinader a convoqué les officiers supérieurs de l'armée pour un cabinet de sécurité afin d'évaluer la situation.

Ailleurs sur la planète, l'assassinat du président Moïse a été unanimement condamné.

Je condamne fermement l’effroyable assassinat du président Moïse perpétré ce matin. Le Canada est prêt à soutenir la population d’Haïti et lui offre toute l’aide dont elle pourrait avoir besoin.

Une citation de :Justin Trudeau, premier ministre du Canada, sur Twitter

Mes pensées accompagnent l’ensemble du peuple haïtien. De tout cœur avec la communauté haïtienne du Québec, a écrit le premier ministre du Québec François Legault sur Twitter.

À Washington, la porte-parole de la Maison-Blanche Jen Psaki a parlé d'une attaque terrible et tragique et a indiqué que les États-Unis étaient prêts à apporter leur aide au pays en crise.

L'ambassade des États-Unis à Port-au-Prince a décidé de garder ses portes closes pour la journée en raison de la situation sécuritaire en cours.

L'Union européenne s'est inquiétée d'une spirale de la violence par la voix de son chef de la diplomatie Josep Borrell.

Le Conseil de sécurité de l'ONU est profondément choqué par l'assassinat de Jovenel Moïse, a déclaré son président en exercice, l'ambassadeur français Nicolas de Rivière. Il a aussi évoqué la tristesse du Conseil.

Selon plusieurs ambassadeurs, une réunion en urgence de cette instance pourrait être organisée prochainement.

Après y avoir longtemps déployé des Casques bleus, l'ONU n'entretient plus en Haïti depuis fin 2019 qu'une mission d'appui politique.

Le Bureau intégré des Nations unies en Haïti est chargé de conseiller et d'épauler le gouvernement haïtien dans ses efforts pour renforcer la stabilité politique et la bonne gouvernance du pays.

Crise politique et sociale majeure

Trois femmes marchent dans une rue. Des véhicules militaires sont visibles en arrière-plan.

Trois femmes marchent dans une rue de Pétion-Ville, où la présence de l'armée est bien visible.

PHOTO : LA PRESSE CANADIENNE / AP/JOSEPH ODELYN

Le pays vit une crise politique et sociale majeure depuis plus d'un an.

Haïti est le pays le plus pauvre du continent américain et l'insécurité sociale y est amplifiée par la présence des gangs qui multiplient les enlèvements et les assassinats. Jovenel Moïse était accusé de fermer les yeux devant ces violences et de laisser la situation se gangrener.

Depuis son assermentation, M. Moïse a fait face à de nombreuses contestations populaires et un nombre toujours grandissant de voix appelaient à sa démission.

Les manifestations à ce sujet s'enchaînaient depuis 2019, faisant des dizaines de morts et de blessés lors d'affrontements avec la police. Le président était toutefois déterminé à terminer son mandat, qui venait à échéance en 2022.

Jovenel Moïse affirmait d'ailleurs avoir échappé à une tentative d'assassinat et de coup d'État en février dernier.

Il avait fait arrêter 23 personnes accusées de tentative d'assassinat contre le président et de coup d'État. Mais ces personnes avaient été libérées et personne n'avait cru qu'il y avait un vrai complot. [...] Personne ne s'attendait à une nouvelle aussi violente, même si la violence fait partie du quotidien d'Haïti depuis quelques temps.

Une citation de :Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste

Les violences sont fréquentes en Haïti, particulièrement dans la capitale de Port-au-Prince, où plusieurs quartiers sont sous le contrôle de groupes armés qui multiplient les assassinats.

Un journaliste et une militante d'opposition ont par ailleurs été tués il y a un peu plus d'une semaine, suscitant un tollé à l'international.

Les violences, centralisées dans l'ouest de la capitale, ont forcé de nombreux habitants hors de la ville.

Des accusations de corruption

Élu en novembre 2016 sous la bannière du Parti haïtien Tet Kale (PHTK) de l'ancien président Michel Martelly avec tout près de 56 % des voix, Jovenel Moïse aura connu une vie politique mouvementée.

Celui qui a pris les rênes du pays en 2017 a essuyé nombreuses accusations de corruption ces dernières années.

Il avait été déclaré vainqueur du premier tour de l'élection présidentielle d'octobre 2015, mais le second tour avait été annulé en raison d'accusations de fraude entourant le scrutin. Haïti avait alors hérité d'un gouvernement intérimaire, élu par le Parlement.

La victoire de Jovenel Moïse en 2016 avait aussi été entachée de plusieurs irrégularités, selon le tribunal électoral haïtien, ce qui avait déclenché de grandes manifestations au pays. Il avait tout de même été élu pour un mandat de cinq ans.

Issu d'un milieu modeste du nord du pays, M. Moïse n'était pas un politicien de carrière. Avant d'être porté à la tête du pays, il était PDG d'Agritrans, une entreprise de production et d'exportation de bananes.

Des accusations de blanchiment d'argent, datant de son passage dans le monde des affaires, pesaient encore sur lui au moment de son élection.

En 2018, le pays s'était embrasé à la suite d'une hausse du prix de l'essence décrété par le gouvernement central.

Avec les informations de Agence France-Presse
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