L'économiste Michael Clemens propose la mise en place de plans de formation dans les pays de départ, financés par les pays destinataires et en adéquation avec les besoins, en amont des migrations. Une solution qui pourrait répondre à la complexité de la situation actuelle.

Atlantico : Dans le cadre de la réunion d'étape concernant le Pacte mondial sur les Migrations organisée à Puerto Vallarta, au Mexique par l'ONU, entre le 4 et le 6 décembre, l'économiste Michael Clemens a pu suggérer la mise en place de "Global Skill Partnerships". (Des partenariats bilatéraux entre états de départ et d'accueil et ayant pour objectif de développer la formation en amont des migrations, et financés par les pays de destination). Une telle proposition peut-elle être à la hauteur des enjeux, au regard des flux anticipés ?

Jacques Levy : Au préalable, il ne faut pas se représenter les flux migratoires comme un simple jeu de vases communicants entre les riches et les pauvres. La plupart des migrations ont lieu soit entre pays pauvres soit entre pays riches, les migrants ne sont pas que des gens qui subissent le poids de la misère. Il y a beaucoup de pauvres qui ne migrent pas vers les pays riches donc il faut prendre les choses de façon plus complexe en intégrant le fait que les migrants poursuivent des stratégies, avec leurs moyens, et ce, sans nier leurs souffrances. 

Mais ce ne sont pas seulement des mesures mécaniques, soit répressives soit par des incitations à rester sur place, qui vont forcément changer fondamentalement les choses. Globalement, il y a une part relativement limitée des gens qui migrent. Beaucoup de gens font comme si les migrations ne pouvaient qu'augmenter en raison de l'augmentation des inégalités. C'est une vision assez courante mais qui mérite d'être mise en question. De plus, la migration n'est pas forcément une punition pour les migrants. Donc, le fait de dire qu'un monde idéal serait un monde sans migrations, se discute aussi. Parce que l'on peut imaginer des mouvements migratoires beaucoup plus complexes dans leurs parcours, c'est d'ailleurs ce que l'on observe, ce sont des mouvements circulatoires. Par exemple, une grande partie de l'économie mexicaine est alimentée par les investissements d'anciens ou de descendants de migrants arrivés aux États Unis et qui créent des entreprises au Mexique ensuite. Il faut savoir quel est l'objectif. Lorsque l'on dit qu'il faudrait développer la formation, et on sait que cela est essentiel pour le développement, il faut quand même savoir qu'il n'y a pas forcément de lien mécanique avec une réussite. On voit des migrants diplômés qui ne trouvent pas d'emplois à la hauteur de leurs diplômes. De la même façon, on peut, par le diplôme, renforcer la propension migratoire.

Mais cette proposition visant à former des personnes sur place, en vue d'une future migration répondant aux besoins du pays de destination, semble effectivement être en phase avec la complexité que l'on peut observer dans la réalité, cela s'inscrit dans des parcours de vie des migrants. Toute la difficulté est de pouvoir mettre en œuvre des politiques globales alors que les situations sont particulières. Mais il y a aussi le cas des réfugiés, qui eux fuient une situation de guerre, mais même dans ces cas-là, on voit qu'il y a des différenciations. On a pu voir que parmi les migrants syriens, certains d'entre eux avaient des niveaux de formation assez élevés. Tout le monde ne peut pas migrer, cela coute cher.

Jacques Lévy

Jacques Lévy est géographe, professeur à l’école polytechnique fédérale de Lausanne et directeur du laboratoire Chôros. Il est l'auteur du livre "Réinventer la France - Trente cartes pour une nouvelle géographie" (Fayard) en 2013.

 

atlantico.fr

Le 5 décembre 2017

 

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