La légalisation de la polygamie par les députés guinéens a provoqué une levée de boucliers des associations de défense des droits des femmes, tandis que le président Alpha Condé a refusé de signer le décret d'application du nouveau Code civil. Les articles évoquant la polygamie ont été adoptés dans « une opacité totale », selon Fatou Hann Souaré, militante guinéenne.

 

Le 29 décembre 2018, les députés guinéens ont adopté le nouveau Code civil, dont la refonte avait été lancée en 2000. Mais le texte n’est toujours pas entré en vigueur. Alpha Condé s’est opposé à celui-ci, refusant d’y apposer sa signature et bloquant ainsi l’entrée en application du Code civil.
En cause, l’une des principales modifications apportées, qui a provoqué un véritable tollé au sein d’une large frange de l’opinion publique : la légalisation de la polygamie. Il faudra attendre la prochaine session parlementaire – dont la date n’a pas encore été fixée – pour que soit débattue une éventuelle relecture du texte. En attendant, les débats vont bon train.

 

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Fatou Hann Souaré, directrice exécutive de Wafrica Guinée (Women of Africa for resources and intercultural advancement), une ONG de défense des droits des femmes née aux États-Unis, a suivi de bout en bout les débats autour de ce nouveau Code civil. Un document dont la refonte était urgente, selon elle, d’autant que le Code civil actuel date de 1983. En 2017, elle a même organisé un sit-in devant l’Assemblée nationale avec le collectif des ONG pour des textes de lois respectueux des droits humains en Guinée, pour réclamer que les débutés ne retardent pas, à nouveau, l’examen de cet écrit attendu depuis 2000.

 

Mais lorsque celui-ci a finalement été voté, Fatou Hann Souaré a été de celles et ceux qui ont fait entendre leur voix pour en dénoncer le contenu. Et en particulier pour réclamer le retrait des articles 281 et 282 du nouveau Code, qui stipulent que « le mariage peut être conclu soit sous le régime de la monogamie ; soit sous le régime de la polygamie limitée à quatre femmes. Faute par l’homme de souscrire à l’une des options prévues au présent article, le mariage est présumé être placé sous le régime de la polygamie. »

 

Fatou Hann Souaré se veut réaliste. « La polygamie n’a pas attendu sa légalisation pour exister en Guinée », reconnaît-elle, ce qui ne l’empêche pas d’être vent debout contre le document, au nom de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, inscrite dans la Constitution guinéenne.

 

La militante revient pour Jeune Afrique sur sa vision de la genèse de ce texte et sur le combat qu’elle entend mener pour en obtenir la révision.

 

Fatou Hann Souaré  : Le nouveau Code civil adopté par l’Assemblée nationale le 29 décembre 2018 est décrié par une partie de l’opinion publique. Faut-il tout jeter ? 

 

Non. Il faut souligner que ce Code civil présente quelques avancées et innovations très importantes pour le statut de la femme en Guinée. Il permet par exemple aux femmes de travailler sans demander l’autorisation à leur époux, ce qui n’est pas le cas dans le Code actuel. Par ailleurs, en cas de divorce, le partage de l’autorité parentale s’appliquera, selon ce nouveau texte. C’est une avancée. Autre pas important : actuellement, la femme n’est pas autorisée à déclarer la naissance de son enfant à l’état civil. Avec ce nouveau Code elle pourra désormais jouir de ce droit.

 

Mais il n’en reste pas moins que le document inscrit la polygamie dans le marbre de la loi. Ce n’est pas acceptable. Cela tient notamment au processus d’étude du texte. Les articles légalisant la polygamie ont été passés dans un flou et une opacité totale. Les députés ont détricoté le texte initial, qui était en faveur de la monogamie.

 

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 Que s’est-il passé entre la proposition de loi – favorable à la monogamie – et le vote à l’Assemblée nationale ?

 

Il y a eu trois grandes étapes dans l’élaboration de cette loi. Lors de la première étape, une consultation nationale a été organisée, réunissant des acteurs de la société civile, les représentants des institutions et du gouvernement autour d’une proposition de texte du gouvernement. À l’issue de ces débats, un consensus s’est dégagé pour calquer notre Code civil sur le Code sénégalais. Dans celui-ci, le mariage peut être conclu sous trois régimes : celui de la polygamie avec quatre épouses maximum ; le régime de la limitation de la polygamie, où l’homme peut avoir deux à trois épouses ; et enfin le régime de la monogamie.

 

C’est au moment du passage en Commission que le texte a été revu

 

Mais le gouvernement a finalement renoncé à suivre ce modèle sénégalais. Pour deux raisons. En premier lieu parce que ce texte aurait été en contradiction avec les engagements internationaux contractés par la Guinée. En outre, il y a eu un rejet total du document de la part du chef de l’État, Alpha Condé. La proposition de loi qui a été présentée devant l’Assemblée nationale interdisait donc la polygamie.

 

Mais c’est au moment du passage en Commission que le texte a été revu. Ce sont trois ou quatre députés qui ont, au moment de l’inter-commission, rédigé un nouveau document, dans lequel la légalisation de la polygamie a été ajoutée. Et c’est ce texte que les députés ont adopté.

 

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La polygamie est une réalité dans le pays. Et vous expliquez que son principe faisait consensus à l’issue de la consultation nationale. Pourquoi, alors, y êtes-vous opposée ? 

 

Parce que dans le nouveau texte, la femme n’a pas son mot à dire ! La polygamie devient légitime à la demande du mari. Et quand le couple ne se prononce pas, c’est la polygamie qui prime.

 

L’article 8 de la Constitution guinéenne stipule que « les hommes et les femmes ont les mêmes droits »

 

Si on légalise la polygamie sans permettre à la femme d’être, elle aussi, polygame, le principe d’égalité n’est plus respecté. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains veulent attaquer la constitutionnalité de ce texte. L’article 8 de la Constitution guinéenne stipule que « les hommes et les femmes ont les mêmes droits ».

 

Quel serait l’impact de ce nouveau Code civil, s’il était promulgué en l’état ?

 

En Guinée, la polygamie n’a pas attendu ce texte pour être fortement présente. La différence, c’est que cette loi légitime la dégradation des conditions de vie de certains de nos concitoyens. Dans notre pays, des gens qui vivent dans des taudis minuscules vont se sentir légitime à aller chercher une seconde épouse. Ce n’est pas possible de vivre dans ces conditions !

 

À cela s’ajoute également l’inégalité de traitement entre les co-épouses, ou encore les problèmes que cela pose pour l’héritage des enfants.

 

Les hommes utilisent beaucoup la religion comme prétexte. Mais en fait, la polygamie est avant tout coutumière, sans qu’il n’y ait de limitation. D’ailleurs, la religion est venue encadrer cette coutume, en limitant le nombre d’épouses à quatre.

 

Nous espérons que le texte sera à nouveau discuté devant le Parlement

 

Quelle est la prochaine étape ? Comment comptez-vous obtenir que la polygamie ne soit pas légalisée en Guinée ? 

 

Nous considérons que le vote du 29 décembre a été un hold-up des députés présents ce jour-là [69 députés étaient présents sur 114, 37 ont voté pour, 26 contre et 6 se sont abstenus, ndlr]. C’est pourquoi nous nous battons pour obtenir l’intégralité du texte de loi, afin de le distribuer à toute l’Assemblée. Chacun doit savoir ce qu’il comporte précisément, faute de quoi il est impossible de le réfuter.

 

Nous espérons que le texte sera à nouveau discuté devant le Parlement. La prochaine session ordinaire est prévue en avril prochain, mais selon nos informations, une session extraordinaire se tiendra en février.

Par Fatoumata Diallo – Jeune Afrique
Le 22 janvier 2019

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