L’ancien président du Zimbabwe est mort vendredi à 95 ans. Il avait présidé au destin de son pays pendant plus de trente ans, instaurant un régime autoritaire.
Il était l’une des dernières figures des décolonisations en Afrique, l’ancien président du Zimbabwe, Robert Mugabe, est mort vendredi 6 septembre, a annoncé sur Twitter le président zimbabwéen Emmerson Mnangagwa. L’ex-chef d’Etat, âgé de 95 ans, était hospitalisé à Singapour depuis le mois d’avril.

Robert Gabriel Mugabe naît le 21 février 1924 à Kutama, à 80 km au nord-ouest d’Harare, en Rhodésie du Sud, une colonie britannique. Il n’a que 10 ans lorsque son père disparaît en abandonnant sa famille. Celle-ci vit alors dans une mission catholique, où le jeune Mugabe poursuit sa scolarité avant d’aller au collège de Kutama, avec l’objectif de devenir enseignant.

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Il part ensuite à Fort Hare, en Afrique du Sud, pour étudier l’anglais et l’histoire. Il y rencontre plusieurs personnalités du nationalisme africain, qui, quelques années plus tard, dirigeront leur pays, tel Julius Nyerere, qui présidera la Tanzanie. Il enseigne ensuite au Ghana, qui devient la première colonie d’Afrique indépendante, en 1957, puis rentre en Rhodésie du Sud en 1960.
Il est alors imprégné par l’idéologie marxiste et le nationalisme africain. En 1963, il crée son propre parti, l’Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU), issu de l’Union du peuple africain au Zimbabwe (ZAPU) de Joshua Nkomo. Ces mouvements sont favorables à l’indépendance de la Rhodésie pour se libérer du pouvoir des colons britanniques blancs minoritaires. En 1964, Robert Mugabe est emprisonné avec d’autres activistes pour ses propos critiques à l’égard du régime. Durant son incarcération, il passe des diplômes par correspondance, notamment en économie et en droit.

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Guérilla contre le pouvoir blanc

Libéré en 1975, il part pour le Mozambique afin de mener une guérilla contre le pouvoir blanc depuis cette base arrière. Il prend la tête de la branche militaire de la ZANU. La guerre civile dure de 1975 à 1979 et fait au moins 30 000 morts. Des négociations ont lieu à Londres entre les représentants de la guérilla et le pouvoir blanc dirigé par le premier ministre Ian Smith. Elles s’achèvent en 1979 par les accords de Lancaster House. Ils conduisent à la fin de la guerre civile et prévoient des élections législatives en 1980. La ZANU de Mugabe les remporte avec une très nette majorité.

L’agriculture, pilier de l’économie, est ruinée

Le 18 avril 1980, Mugabe devient le premier ministre du nouvel Etat devenu indépendant sous le nom de Zimbabwe. Il compose alors un gouvernement de coalition regroupant la ZANU et la ZAPU. Les Blancs sont bien représentés au Parlement : 20 % des sièges leur sont réservés alors qu’ils ne représentent que 3 % de la population. Une fois élu, Mugabe prend des mesures pour améliorer le niveau de vie de la population. Il lance surtout une réforme agraire. Les premières expropriations de terres possédées par des Blancs provoquent une catastrophe agricole. Les terres expropriées sont données à des fidèles du régime qui n’ont pas les connaissances et les techniques pour les exploiter. L’agriculture, pilier de l’économie, est ruinée, ce qui plonge la population dans la misère et la famine.

En 1987, la ZANU et la ZAPU fusionnent en une ZANU-PF (ZANU-Front patriotique). Mugabe en prend le contrôle et est élu en décembre président du pays, instaurant un régime autoritaire. Les Blancs perdent ce qui leur restait de pouvoir et commencent à fuir massivement le pays. Dans ce contexte, Mugabe est réélu deux fois à la présidence du pays, en 1990 et 1996.

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De plus en plus contesté

Mais le pouvoir autoritaire de Mugabe est de plus en plus mis en cause au sein de la ZANU-PF et de la population, d’autant que la situation économique ne cesse de se dégrader. Un parti d’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), dirigé par Morgan Tsvangirai, est créé en 2000. En 2002, Robert Mugabe gagne à nouveau l’élection présidentielle, mais celle-ci est contestée en raison de fraudes. La communauté internationale réagit et instaure des sanctions. Le pays est exclu du Commonwealth, qui rassemble de nombreux anciens territoires britanniques.

Des billets de 100 milliards de dollars zimbabwéens sont émis

De nouvelles élections présidentielle et législatives ont lieu en mars 2008. Tsvangirai arrive en tête du premier tour mais le régime réprime alors violemment l’opposition. Dans ce contexte, Tsvangirai décide de boycotter le scrutin, ce qui permet à Mugabe d’être réélu. Mais la situation du pays ne s’arrange pas et l’économie s’enfonce dans la crise. Elle plonge dans l’hyperinflation et de nombreux produits, notamment alimentaires, font défaut. Des billets de 100 milliards de dollars zimbabwéens sont même émis. La population recourt à une économie de troc, qui est entravée par la pénurie d’essence. Cette pauvreté croissante contraste avec le luxe dans lequel vivent Mugabe et sa femme, Grace, de quarante et un ans sa cadette, et la gabegie dans les dépenses publiques.

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Mugabe est contraint, par la pression internationale, d’ouvrir son pouvoir. Tsvangirai devient le premier ministre d’un gouvernement d’union nationale en février 2009. Mais les tensions sont fortes au sein de l’exécutif. En 2013, un nouveau scrutin présidentiel a lieu, marqué par des fraudes multiples que Tsvangirai dénonce avec vigueur. Ce qui n’empêche pas Mugabe d’être réélu.

Mugabe s’accroche au pouvoir et joue du népotisme. Il souhaite que sa femme, Grace, lui succède. Lorsque celle-ci demande publiquement, le 5 novembre 2017, que Mugabe lui laisse le pouvoir, l’armée intervient. Les deux époux sont placés en résidence surveillée. Une procédure de destitution est lancée contre Robert Mugabe, qui démissionne le 21 novembre 2017, laissant un pays exsangue et ruiné.

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La tâche d’Emmerson Mnangagwa, élu à la présidence du pays en 2018, est immense. Vendredi, ce dernier a en tout cas salué la mémoire d’une « icône de la libération » :

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« Le camarade Mugabe était une icône de la libération, un panafricaniste qui a consacré sa vie à l’émancipation et à la responsabilisation de son peuple. Sa contribution à l’histoire de notre nation et de notre continent ne sera jamais oubliée. Que son âme repose en paix éternelle. »

Hommage des dirigeants africains

L’ancien président zimbabwéen a été fait « héros national », a annoncé M. Mnangagwa, qui lui a succédé après un coup de force de l’armée en 2017. La ZANU-PF, au pouvoir depuis 1980, s’est réunie et lui a accordé ce statut « qu’il mérite grandement », a déclaré le chef de l’Etat lors d’une intervention télévisée à Harare, ajoutant que le pays serait en deuil jusqu’aux funérailles, dont la date n’a pas encore été communiquée.

L’Afrique lui a également rendu hommage, préférant saluer la dimension historique du combattant anticolonialiste plutôt que l’autocrate qui a laissé un pays exsangue après un très long règne. L’un des premiers à réagir, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, a salué un « combattant de la libération et un champion de la cause africaine contre le colonialisme ».

La Chine, très présente sur le continent et dont le président, Xi Jinping, fut en 2015 un des rares chefs d’Etat à effectuer une visite officielle au Zimbabwe, boudé par les dirigeants occidentaux, a rendu hommage à un dirigeant « exceptionnel » qui a « fermement défendu la souveraineté de son pays » et a « activement promu l’amitié […] entre la Chine et l’Afrique », a déclaré le porte-parole de la diplomatie chinoise, Geng Shuang. En Russie, autre partenaire du Zimbabwe, le président Vladimir Poutine a souligné que « beaucoup de dates importantes dans l’histoire moderne du Zimbabwe sont liées au nom de Robert Mugabe ».

Londres a, de son côté, estimé que « les Zimbabwéens [avaient] souffert trop longtemps sous le règne autocratique » de Robert Mugabe, selon un porte-parole du ministère britannique des affaires étrangères, espérant que le pays puisse à présent « suivre un chemin plus démocratique et prospère ».

 

Lemonde.fr, Par Edouard Pflimlin
Le 6 septembre 2019

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