Le dernier livre de Wilfried N'Sondé, « Un océan, deux mers, trois continents », romance l'histoire vraie d'un prêtre bakongo nommé ambassadeur au Vatican en 1604 et qui, en chemin, découvre la traite.

Un océan, deux mers et trois continents*, voilà qui n'effraie pas Wilfried N'Sondé. Né à Brazzaville en 1968, ayant grandi à Melun avant d'être étudiant à Paris en Sciences politiques et musicien parmi d'autres activités underground à Berlin, l'écrivain congolais est désormais parisien. Le Cœur des enfants léopards, son premier roman, lui a valu de bourlinguer grâce au prix des Cinq Continents de la francophonie, et si ses romans précédents ont plutôt fait le tour des banlieues françaises et des bars berlinois, ce cinquième livre est un vrai changement d'échelle, un passeport pour le roman historique et d'aventures à la fois. Chance, il n'y a pas noyé son talent pour incarner les personnages, toucher à l'humain par l'intime, privilégier l'approche sensible sans être mièvre, autant dire que cette sortie de la zone de confort est pour N'Sondé une épreuve réussie !

Nsaku Ne Vunda, témoin de la traite

Tout commence à Rome, où une statue de marbre noir dite Nigrita se met à parler, sur le mode parole d'ancêtre tel qu'on le connaît dans la culture bakongo de l'auteur. Ce buste rend hommage à un certain Nsaku Ne Vunda (1583-1608), prêtre né au Kongo et parti comme ambassadeur au Vatican à la demande du roi des Bakongos, et dont le bateau voguera du Kongo à l'Europe en passant, ce qui n'était pas prévu…, par le Brésil. Trajet de la traite. Le jeune prêtre découvre alors l'horreur de l'esclavage, qu'il veut dénoncer dès son arrivée à Rome au pape lui-même. « La couleur de peau en tant que facteur d'identification est quelque chose de récent dans l'histoire de l'humanité et le fait qu'un Noir puisse monter sur un bateau qui transporte des esclaves noirs sans être dans la cale, un Noir que le pape attend pour qu'il siège à ses côtés comme ambassadeur, m'a confirmé qu'en tout cas, au début du XVIIe siècle, on définissait les êtres selon leur position dans la hiérarchie plus que par leur couleur de peau », explique Wilfried N'Sondé. Il a découvert le parcours du personnage historique dont il a fait son héros dans la bibliothèque de son frère aîné, historien spécialiste des royaumes du Kongo. Et trouvé en lui un « témoin neutre », ni esclave ni esclavagiste, sur la traite. Il permet aussi au romancier d'« inventer le point de vue d'un Africain sur l'Europe » puisque, du Brésil, le jeune prêtre ira au Portugal puis en Castille avant d'atteindre, trois ans plus tard, la cité papale. Sa relation avec un jeune serf français embarqué sur le même bateau comme matelot établit un lien d'humanité au milieu de ce grand tableau historique que N'Sondé a brossé à partir de longues journées en bibliothèque.

La relecture des classiques a facilité l'écriture des dialogues, l'emploi du passé simple confirme son élégante efficacité narrative, bref, on ne se sent pas dépaysé dans ce roman dont l'auteur avoue avoir trouvé le rythme en prenant son temps, et le souffle spirituel auprès du silence d'un monastère bénédictin. On ne sait quel esprit a entendu la voix du prêtre en appelant à ce qu'un jour, quelqu'un retrouve et diffuse sa parole... « Je n'étais pas concsient de ce que j'écrivais, explique Wilfried N'Sondé, et ce qui est fou, c'est que je suis invité en mars à Luanda à participer à ramener Nsaku Ne Vunda chez lui, où il est méconnu. »

Tendance au roman historique ?

 

Assiste-t-on à une tendance littéraire des écrivains africains à se tourner vers l'histoire de leur continent ? José Eduardo Agualusa plonge dans l'Angola de la reine Ginga (1581-1663) à travers le destin d'un homme d'Église aussi. On attend la fresque historique de Mia Couto sur le Mozambique, Emmanuel Dongala,compatriote de N'Sondé, s'intéresse à la figure du musicien métis qui a inspiré à Beethoven sa Sonate à Kreutzer (Actes Sud)... « L'Afrique est un vivier d'histoires à raconter, avec un côté spirituel, magique, qui est un moyen d'écrire des livres fantastiques. L'histoire de l'Afrique, c'est le Far West des écrivains. Il faut qu'on s'en empare pour rendre de l'humanité à tous ces gens. » Mission accomplie dans ce nouveau livre dont il faut saluer la beauté de la couverture (illustration signée Michelle Morin). Et l'on ne s'étonnera pas d'apprendre que le prochain continuera à explorer cette veine historique. En attendant, retour à Fleur de béton, son second roman, qu'il adapte pour le grand écran.

 

PAR 

lepoint.fr

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