Niger : Ali Lamine Zeine nommé premier ministre par les putschistes, une émissaire américaine reconnaît des discussions « difficiles »

Les militaires auteurs du coup d’Etat à Niamey ont annoncé la nomination de cet ex-ministre des finances au poste de premier ministre. Selon la diplomate américaine Victoria Nuland, les putschistes sont conscients des « risques » d’une alliance avec la Russie.

Alors que l’ultimatum adressé par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) pour un retour à l’ordre constitutionnel au Niger a expiré dimanche soir à minuit, les auteurs du coup d’Etat à Niamey maintiennent leur ligne de conduite. Ils ont annoncé, lundi 7 août en soirée, la nomination d’un premier ministre.

 

« Monsieur [Ali Mahaman] Lamine Zeine est nommé premier ministre », a ainsi rapporté le colonel major Amadou Abdramane, dans un communiqué lu à la télévision nationale. « Le lieutenant-colonel Habibou Assoumane » a également été « nommé commandant de la garde présidentielle », a ajouté M. Abdramane.

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L’annonce a été faite alors qu’une haute responsable de la diplomatie américaine, Victoria Nuland, a déclaré, lundi en soirée, avoir rencontré à Niamey les auteurs du coup d’Etat pour des discussions qui n’ont pas permis de trouver une solution négociée. « Ces discussions ont été extrêmement franches et par moments assez difficiles », a-t-elle déclaré à la presse, par téléphone. La numéro deux de la diplomatie américaine par intérim a dit avoir notamment rencontré le général de brigade Moussa Salaou Barmou, nouveau chef d’état-major de l’armée, mais n’avoir pas pu s’entretenir avec le chef des militaires au pouvoir, le général Abdourahamane Tiani.

 

Selon l’émissaire de Washington, ses interlocuteurs se sont montrés peu réceptifs aux exhortations et aux avertissements des Etats-Unis à ramener le pays à un régime civil, et ils sont conscients des « risques » d’une alliance avec la Russie.

Diplômé en France

Le premier ministre nommé en soirée par les militaires est loin d’être un inconnu du monde politique au Niger. Ali Lamine Zeine avait été nommé directeur de cabinet en 2001, dès l’arrivée au pouvoir de l’ancien président Mamadou Tandja, avant d’endosser le costume de ministre des finances en 2002 pour redresser une situation économique chaotique. Cet économiste avait gardé son poste jusqu’au renversement de Mamadou Tandja en 2010, lors du coup d’Etat réalisé par le commandant Salou Djibo, avant une élection présidentielle remportée par Mahamadou Issoufou, prédécesseur de Mohamed Bazoum, déchu le 26 juillet dernier par les putschistes actuels.

M. Zeine, né en 1965 et diplômé du Centre d’études financières, économiques et bancaires de Marseille et Paris-I, a également été représentant résident de la Banque africaine de développement (BAD) au Tchad, en Côte d’Ivoire et au Gabon.

 

Sa nomination intervient le jour où l’armée malienne a annoncé l’envoi par le Mali et le Burkina Faso d’une délégation officielle conjointe à Niamey, en « solidarité » avec le Niger. La Cédéao avait menacé de recourir à la force après l’expiration du délai. Le Mali et le Burkina Faso, où des militaires ont également pris le pouvoir par la force respectivement en 2020 et 2022, ont prévenu qu’ils considéreraient une telle intervention comme une « déclaration de guerre ».

La Cédéao en « sommet extraordinaire »

Les dirigeants de la Cédéao se réuniront jeudi à Abuja pour un « sommet extraordinaire » sur le Niger, a annoncé lundi l’organisation. « [Ils] se pencheront sur la situation politique et les récents développements au Niger », développe un communiqué publié par l’organisation. Une intervention militaire immédiate pour rétablir le président Bazoum n’est pas envisagée à ce stade, selon une source proche de la Cédéao.

De son côté, « la junte a demandé à la délégation de la Cédéao de revenir » d’ici mardi au Niger, a déclaré lundi à TV5 Monde le premier ministre nigérien déchu, Ouhoumoudou Mahamadou. Cette délégation, arrivée jeudi à Niamey, était repartie quelques heures plus tard sans être parvenue au moindre résultat.

Dimanche soir, peu avant la fin de l’ultimatum de la Cédéao, les militaires nigériens ont annoncé fermer l’espace aérien du pays « jusqu’à nouvel ordre ». Ils ont invoqué une « menace d’intervention qui se précise à partir des pays voisins », en assurant que « toute tentative de violation de l’espace aérien » entraînera « une riposte énergique et instantanée ».

La fermeture de l’espace aérien complique la desserte de certaines destinations africaines par les compagnies européennes qui ont dû s’adapter lundi, parfois en urgence. Des vols depuis Libreville, Douala, Kinshasa et Cotonou à destination de Paris ont ainsi dû revenir à leur point de départ pour reprendre du carburant en prévision d’un trajet rallongé qui ne survole pas l’immense territoire nigérien, a affirmé Air France-KLM à l’Agence France-Presse.

 

Le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP, l’organe des militaires au pouvoir) a également affirmé qu’un « prédéploiement pour la préparation de l’intervention a été fait dans deux pays d’Afrique centrale », sans préciser lesquels et ajoutant : « Tout Etat impliqué sera considéré comme cobelligérant. »

« Créer une nouvelle alliance »

Plusieurs voix hors du Niger se sont exprimées ces derniers jours contre toute intervention militaire. Les sénateurs du Nigeria, poids lourd de la Cédéao, ont appelé à renforcer « l’option politique et diplomatique », et le président algérien Abdelmadjid Tebboune a estimé qu’une intervention serait une « menace directe » contre son pays, autre voisin du Niger et acteur majeur dans le Sahel.

En Europe, le ministre des affaires étrangères italien, Antonio Tajani, a dit, lundi, « espérer » que l’ultimatum de la Cédéao allait être « prolongé ». « Il n’est pas dit qu’on ne trouvera pas une solution qui ne soit pas la guerre », a-t-il déclaré dans un entretien au quotidien La Stampa. « L’Europe ne peut pas se permettre un affrontement armé, nous ne devons pas être vus comme de nouveaux colonisateurs, explique-t-il. Nous devons créer une nouvelle alliance avec les pays africains qui ne soit pas basée sur l’exploitation. »

En Allemagne, « nous pensons que les efforts de médiation n’en sont qu’à leurs débuts parce que les sanctions commencent seulement à produire leurs effets », a déclaré un porte-parole du ministère des affaires étrangères, Sebastian Fischer. Il n’y a, selon lui, « pas d’automatisme » entre la fin de l’ultimatum de la Cédéao et une intervention armée au Niger.

 

De son côté, la France, ancienne puissance coloniale en Afrique de l’Ouest, de plus en plus vilipendée par les partisans des militaires ayant pris le pouvoir à Niamey, Bamako et Ouagadougou, a martelé ce week-end son soutien aux efforts de la Cédéao pour faire échouer la « tentative de putsch » au Niger.

« La marche en avant »

Niamey s’est réveillée lundi dans le calme au lendemain d’une démonstration de force de quelque 30 000 partisans des militaires qui se sont rassemblés dans le plus grand stade du Niger. Des drapeaux du pays, mais aussi du Burkina ou de la Russie, y ont été brandis, la France et la Cédéao huées, des membres du CNSP acclamés par la foule. Le général Mohamed Toumba, numéro trois du CNSP, a pris la parole pour dénoncer ceux « qui sont tapis dans l’ombre » et « en train de manigancer la subversion » contre « la marche en avant du Niger ».

Le président Mohamed Bazoum est retenu prisonnier chez lui depuis le 26 juillet. Dimanche, la ministre des mines, Ousseini Hadizatou, a été remise en liberté « pour des raisons médicales », a affirmé lundi un membre de son entourage. Mais selon une source proche du parti du président déchu, « toutes les autres personnalités, ministres et responsables politiques arrêtés sont toujours détenus ».

 

 

Le coup d’Etat qui a renversé le président Bazoum, allié privilégié de la France et des Etats-Unis qui y déploient respectivement 1 500 et 1 100 soldats dans la lutte contre les djihadistes armés qui minent la région, a été fermement condamné dans la plupart des pays d’Afrique et ailleurs dans le monde.

 

lemonde.fr

Le 8 août 2023

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