Luc Damiba l'engagé

A l’occasion du Festival du film et Forum international sur les droits humains qui se tient à Genève, Courrier international a rencontré le réalisateur burkinabé Luc Damiba, président du festival Ciné Droit Libre de Ouagadougou.

Que signifie pour vous et pour l'Afrique subsaharienne le printemps arabe en cours actuellement ?
Ah, le printemps arabe ! C’est un tournant historique, qui équivaut pour les jeunes Africains à la chute du mur de Berlin pour l’Europe occidentale. A mon sens, c’est comme des grains de pollen qui, une fois emportés par le vent, peuvent germer et pousser partout en Afrique, y compris en Afrique subsaharienne. Selon moi, ces révolutions dans le monde arabe inquiètent beaucoup de chefs d’Etat africains, notamment ceux qui sont au pouvoir depuis plus de vingt ans, au Burkina Faso, au Cameroun, en Guinée-Bissau, ou au Zimbabwe par exemple. A cela s’ajoute une culture de succession dynastique au Togo, au Gabon, et qui est d’actualité au Sénégal. C’est la panique à bord dans plusieurs palais, où les forces de l’ordre et les services de renseignements sont en alerte maximale pour surveiller tous les foyers possibles de révolte.

Un tel vent de révolte peut-il souffler dans les mois qui viennent sur les autres pays africains ?
Oui, mais peut-être pas avec la même rapidité et le même impact. Se dressent plusieurs obstacles à toute tentative de révolte. D’abord les nouveaux modes d’accès à Internet sont très faibles. Dans cette partie de l’Afrique, l’accès au web et donc aux réseaux sociaux n’est pas assez populaire pour qu'Internet devienne un réel outil de mobilisation des jeunes. Ensuite, certaines armées sont trop claniques, au point qu’elles pourraient ne pas être favorables aux revendications du peuple. En dehors de ces deux obstacles, les autres ingrédients de la révolte sont réunis et devraient s’aggraver bientôt avec la crise ivoirienne pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest. Si la situation débouche sur un conflit, on assistera à un retour de populations dans leurs pays d’origine (Mali, Burkina et Niger notamment), avec son lot de pressions sur les terres et de pressions économiques.

La Guinée connaît un processus démocratique encourageant et personne n'en parle…
Oui, la transition est douloureuse quand même, avec beaucoup de plaies à panser et un ancien président encombrant à gérer [le capitaine Dadis Camara est exilé actuellement au Burkina Faso après avoir tenté de mettre fin aux espoirs d'une transition démocratique engendrée par la mort, en 2008, du dictateur Lansana Conté, resté au pouvoir vingt-quatre ans]. Dans le contexte ouest-africain, l’exemple de la Guinée [un président démocratiquement élu – Alpha Condé, en novembre dernier – et un organe législatif transitoire dirigé par Rabiatou Serah Diallo, la seule femme dirigeante d’un syndicat en Afrique] montre qu’il est encore possible de croire à la démocratie. On peut dire la même chose pour le Niger ou le Bénin. Les élections sont de véritables voies d’alternance, contrairement à ce qui se passe en Côte d’Ivoire ou au Burkina Faso, où le risque de ne plus croire à la démocratie est élevé du fait d’un déni du choix du peuple pour le premier pays, et pour le second du fait d’un mirage de cycles électoraux ayant toujours le même gagnant et, au vu de la participation à ces scrutins, auxquels peu de citoyens croient.

Justement, le Burkina Faso est dirigé depuis vingt-quatre ans par Blaise Compaoré. Comment expliquer une telle longévité et la bienveillance de la communauté internationale malgré une démocratie au rabais ?
Compaoré est au pouvoir depuis vingt-huit ans si l'on inclut les quatre ans de la période révolutionnaire de Thomas Sankara, durant laquelle il était le numéro deux [Sankara, président anticolonialiste arrivé au pouvoir en 1983, est victime d’un coup d’Etat et assassiné en 1987]. Cette longévité est due à deux facteurs : la peur que le clan Compaoré a instaurée pendant les premières années de son règne, notamment à travers une série d’assassinats politiques ; le second facteur réside justement dans ce soutien bienveillant de la soi-disant communauté internationale. Officiellement il garantit une stabilité politique au Burkina, et officieusement il sert de relais aux causes de la fameuse Françafrique en utilisant les mêmes méthodes : celles d'un pompier pyromane. A combien de conflits les noms du clan Compaoré n’ont-ils pas été associés ? Le Liberia, la Sierra Leone, l’Angola, le Niger, le Mali, avec les rebelles touaregs, la Guinée ou encore la Côte d’Ivoire. Et en retour il joue le rôle de médiateur de paix – c’est ce qu’il sait faire de mieux ! – pour plusieurs crises politiques, en Guinée ou au Togo, tout en servant de facilitateur pour la libération d’otages aux mains d’Al-Qaida au Maghreb islamique.

 

Propos recueillis par Daniel Matias

Courrierinternational.com


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