Face au vide laissé par Paris et Alger, le Maroc construit sa diplomatie sahélienne

DÉCRYPTAGE. En recevant les ministres de l’Alliance des États du Sahel, Mohammed VI affirme ses ambitions au Sahel au moment où Paris et Alger perdent pied dans la région.

 

Avant le geste politique fort, les signaux avaient été clairs : le lancement de l'Initiative atlantique, une médiation discrète lors de la libération d'otages au Burkina Faso, et des appels répétés à une solidarité Sud-Sud. Ce 28 avril, en accueillant à Rabat les ministres sahéliens des Affaires étrangères, le roi Mohammed VI a donné un tour plus affirmé à sa diplomatie. Le message est limpide : le Maroc revendique désormais sa place au cœur du jeu sahélien.

 

Une stratégie sahélienne discrètement déployée

Dans un Sahel traversé par les coups d'État, les ruptures d'alliances et la mise à distance des anciens partenaires occidentaux, le Maroc s'est imposé, depuis 2022, comme un acteur pragmatique, misant sur le dialogue avec les régimes de transition.

 

Le tournant ? Le 6 novembre 2023, à l'occasion de son discours annuel sur le Sahara, le roi Mohammed VI dévoile l'Initiative atlantique. L'objectif : offrir un débouché maritime durable aux pays sahéliens enclavés en s'appuyant sur les ports marocains, de Dakhla à Tanger Med. Le projet, décrit par un diplomate occidental en poste à Rabat comme « une rare initiative africaine pensée en dehors des cadres occidentaux », a immédiatement trouvé écho à Ouagadougou, à Bamako et à Niamey.

 

Pour les pays de l'Alliance des États du Sahel (AES), diplomatiquement isolés depuis leur retrait de la Cedeao et confrontés à des sanctions internationales, cette main tendue représente à la fois une bouée économique et une reconnaissance politique implicite. Les ministres Abdoulaye Diop (Mali), Karamoko Jean-Marie Traoré (Burkina Faso) et Bakary Yaou Sangaré (Niger), qui ont présenté l'état d'avancement de l'Alliance des États du Sahel (AES) lors de la visite du 28 avril dernier à Rabat, ont unanimement insisté sur « l'adhésion totale » de leurs pays à l'initiative du souverain chérifien pour favoriser l'accès des pays du Sahel à l'Atlantique, ainsi que leur « engagement d'accélérer sa mise en œuvre ». Ce projet, qui s'ajoute au gazoduc Nigeria-Maroc, confirme la volonté de Rabat de jouer un rôle pivot sur le continent.

 

« Je dois dire que j'ai été impressionné par trois faits », a souligné le ministre burkinabé Karamoko Jean-Marie Traoré au micro des chaînes marocaines. « Le premier, c'est l'amour de Sa Majesté pour l'Afrique et les Africains. Le deuxième, c'est sa parfaite connaissance de nos pays et de la sous-région. Et le troisième, c'est sa grande disponibilité pour coconstruire avec ses frères africains de nouveaux rapports. Cela a été pour nous quelque chose de très touchant. »

 

Mais, derrière cette rhétorique de solidarité, c'est une doctrine marocaine renouvelée qui se dessine. Une source diplomatique marocaine de haut rang la résume ainsi : « Il ne s'agit pas d'un jeu d'influence classique. Le Maroc se positionne comme facilitateur et médiateur, dans une logique d'alliances de blocs, pas de domination. » Une formule qui tranche avec les approches plus musclées de certains partenaires traditionnels du Sahel, que ce soit la France hier ou la Russie aujourd'hui. Cette posture a aussi permis à Rabat de jouer un rôle discret mais déterminant dans la libération de quatre agents de la DGSE français au Burkina Faso, comme nous le rapportions en décembre 2024.

 

Le royaume y a activé des canaux de renseignements et de négociation crédibles sans jamais chercher à capter la lumière. Cette capacité d'entremise contribue à asseoir une image de neutralité active que peu d'acteurs africains peuvent revendiquer dans la zone.

 

Le Maroc, nouvel arbitre au Sahel ?

Là où Alger était considéré, depuis des décennies, comme l'interlocuteur naturel du Sahel – notamment via le Comité d'état-major opérationnel conjoint (Cemoc) ou la médiation dans l'accord de paix d'Alger de 2015 –, le Maroc a su déplacer les lignes. En cultivant une diplomatie de proximité, incarnée au sommet par Mohammed VI mais relayée aussi par les agences d'investissement, la Fondation Mohammed VI ou encore les opérateurs logistiques publics, Rabat a comblé un vide stratégique.

 

Cette influence nouvelle se matérialise dans les forums multilatéraux, là où les diplomates marocains et algériens se sont longtemps livré une guerre d'attrition sur les formulations. Ainsi, sur les résolutions des Nations unies ou de l'Union africaine liées au Sahel, Alger plaidait pour que seuls les « parties intéressées et pays de la zone » soient mentionnés. Rabat militait pour une formule plus inclusive : « parties concernées, intéressées, et pays du champ sahélien ». Un détail ? Pas vraiment.

 

En effet, la diplomatie sahélienne se joue souvent à coups de virgule et d'adjectif. Celui qui impose sa terminologie impose sa légitimité. En 2025, la sémantique marocaine semble avoir fait école. Les textes récents du G5 Sahel dissous, comme ceux du sommet informel de l'AES à Niamey en mars 2025, reprennent la terminologie prônée par Rabat.

 

Autre indicateur de cette bascule : la multiplication des visites bilatérales à Rabat non seulement des diplomates mais aussi des ministres sectoriels sahéliens (Économie, Agriculture, Infrastructures), venus chercher partenariats, modèles et financements. À long terme, ce repositionnement pourrait créer des externalités positives pour le royaume : ouverture de nouveaux marchés pour les entreprises marocaines, soutien diplomatique sur le dossier du Sahara et surtout influence accrue sur la sécurité régionale.

 

Mais Rabat avance avec prudence. Car la zone reste instable et les régimes sahéliens de transition sont fragiles. Consciente de cette volatilité, la diplomatie marocaine continue de se tenir à distance des logiques militaires et refuse de s'aligner sur des puissances extérieures, qu'elles soient russes, turques ou occidentales. Ce pari de la neutralité positive, s'il réussit, pourrait faire du Maroc un acteur central non seulement au Sahel mais, plus largement, dans le dialogue interafricain de demain. Mohammed VI entend bien inscrire cette stratégie dans la durée, à mesure que les équilibres sahéliens se redessinent. Comme le résume un conseiller proche du palais, qui a requis l'anonymat : « Le roi ne veut pas être un donneur d'ordres, mais un donneur de solutions. »

 

lepoint.fr

Le 2 mai 2025

 

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