Musique – Debademba : hommage au "Sanikoya" (se taquiner tout en se respectant)

 

ENTRETIEN. Dans un album à forte tonalité traditionnelle, le duo du groupe Debademba réveille une tradition séculaire qui favorisait la paix entre les familles et les ethnies. 

La déferlante Debademba est de retour, prête à enjailler et mettre de l'ambiance partout sur son passage de ses grooves ouest-africains enfiévrés ! À la tête du groupe, les deux complices, locomotives de cette mixture ultravitaminée : Abdoulaye Traoré, guitariste virtuose burkinabè, aussi à l'aise dans les rythmes africains que dans le blues-rock ou le flamenco, et le chanteur ivoiro-malien Mohamed Diaby, à la voix d'or de griot, puissante et haut perchée. Installés à Paris, dans le quartier de Belleville, « là où tout a commencé pour Debademba », ils puisent dans les richesses musicales du continent, de la Côte d'Ivoire au Nord-Mali en passant par le Cameroun et le Burkina. Mais Debademba, qui signifie « la grande famille » en bambara, ne se contente pas de faire danser les foules : ils diffusent des messages pacifistes de fraternité et d'amitié à travers leur musique. Pour ce troisième album, ils rendent hommage au « Sanikoya », une tradition séculaire d'Afrique de l'Ouest qui maintenait la paix entre les familles et les ethnies, une tradition qui tend à disparaître aujourd'hui. Avant de s'envoler pour le Bénin, les deux compères se sont confiés au Point Afrique.

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Le Point Afrique : Pourquoi cet hommage à la tradition Sanikoya sur votre troisième album ?

Abdoulaye Traoré : En Afrique, certaines traditions séculaires permettaient de maintenir la paix entre les ethnies, les familles. Or on commence à les oublier. « Sanikoya », ça veut dire se taquiner tout en se respectant. On plaisante sur le nom de famille, nos origines… On rigole ensemble, ça montre qu’on n’a pas le droit de faire la guerre. Entre les Diarra et les Traoré, les Mossis et les Dafings, les Peuls et les Bambaras... Les sanikoya réglaient beaucoup de problèmes. C'est un conciliateur, un pacificateur, le garant d'une stabilité entre les peuples. Là j'entends aujourd'hui que les Peuls commencent à prendre les armes, comme les Touaregs, c'est une catastrophe. En tant que musiciens, nous sommes des messagers, nous disons « attention ! » : cette tradition du Moyen Âge est très importante.

Mohamed Diaby : La jeune génération ne sait pas vraiment ce que c'est ! Sanikoya, c'est la « plaisanterie parentale », en langue bambara, dioula, malinké... Grâce à ça, les familles peuvent se réconcilier. C'est une tradition très sacrée, beaucoup pratiquée en Afrique de l'Ouest. Tu ne peux rien refuser au sanikoya, tu dois l'écouter, il empêche la malveillance entre les membres d'une communauté, et crée un lien familial entre eux.

Il y a des rythmes très différents originaires de toute l'Afrique de l'Ouest dans l'album….

Abdoulaye Traoré : Il y a toujours plein d'influences dans notre musique. L'Afrique est un continent musical très riche, on a tellement de rythmes, de gammes pentatoniques ! Au Mali par exemple chaque ethnie a sa manière de chanter. Il faudrait des mois pour toutes les présenter ! Pour nous, il n'y a pas de frontières dans la musique. Sur l'album, il y a par exemple une chanson avec le rythme bolowi, qui se danse traditionnellement avec des masques en Côte d'Ivoire. Ou le bikoutsi, du Cameroun. C'est ma recherche musicale, chaque morceau a son rythme propre. Parfois aussi j'accorde ma guitare différemment. Moi je suis du Burkina, mais j'ai vécu 20 ans à Abidjan. Mohamed est ivoiro-malien. Sa voix s'adapte à tous les styles, même le flamenco ! J'ai besoin de travailler avec quelqu'un comme lui, qui a la même démarche d'ouverture que moi. Ça montre aussi que dans la musique il n'y a pas de racisme. Puisque je fais de la musique peule, wassoulou, touarègue, bambara… Nous, musiciens, on est une famille. C'est là encore un message, une leçon de vie, pour dire qu'on est ensemble, qu'on s'aime, qu'en Afrique on est frères, on a tous le même père, la même mère. Il faut que l'Afrique soit unie.

Mohamed Diaby : On développe pas mal de sujets, notamment sur les problèmes du continent, la famine, les guerres, les dictatures… La musique est l'arme la plus puissante pour porter des messages.

Comme la chanson hommage à Mandela ?

 

Abdoulaye Traoré : Depuis qu'il est parti, personne ne l'a remplacé, c'est incroyable. Comme dit le proverbe, le grand baobab est tombé, et tous les oiseaux posés sur ses branches se sont envolés. Là en Afrique du Sud, c'est mal parti. Beaucoup de frères et de sœurs d'Afrique de l'Ouest qui s'installent là-bas sont victimes de racisme, on les accuse de prendre le travail des autochtones… C'est comme au Burkina, personne n'a pu remplacer Thomas Sankara.

 

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Mohamed Diaby : On espère avoir un jour un président comme Mandela pour diriger le pays, quelqu'un qui ait la bonne expérience.

Comment se passe le travail musical entre vous deux ?

Mohamed Diaby : J'essaie déjà de m'adapter à la sonorité d'Abdoulaye. Voir ce qu'il veut faire comme style. La première chose que j'ai besoin de savoir, c'est de quoi parle la chanson. En fonction de ça, je m'inspire de ces thèmes pour écrire et interpréter. Sinon au quotidien, je fais des exercices, mais je repose aussi ma voix. J'aime beaucoup écouter les autres, comprendre leurs techniques, et les ajuster à mon style. J'ai une voix de ténor que j'ai héritée de ma mère, la très grande chanteuse griotte Koumba Kouyaté. C'est un don que j'ai reçu dans le lait maternel ! Depuis tout petit je chante très haut. Grâce à Abdoulaye, j'ai appris à respecter le tempo, à me poser sur la gamme. Car parfois en tant que griot, on fait un peu ce qu'on veut, on essaie de « dégammer ».

Abdoulaye Traoré : Dans sa famille tout le monde chante, mais c'est lui le meilleur ! Car il n'est pas limité dans sa tradition. Il peut aller dans tous les styles. Avant, il chantait à la manière des griots, très haut et très fort, mais il a appris à chanter plus doucement, avec des nuances.

Mohamed Diaby : Abdoulaye est très exigeant. Quand il veut quelque chose, il faut que ça se fasse tout de suite ! Il travaille tout le temps. Même quand tu n'as pas envie, il te fait bosser. Il n'aime pas te voir tranquille ! Il fait tout le temps des recherches… Et il a tout un tas d'instruments, c'est un polygame de la guitare ! (rires).

 

 

PROPOS RECUEILLIS PAR ASTRID KRIVIAN – Lepointafrique.fr
Le 9 octobre 2017

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