SUSPENSION. Principal interlocuteur du président Ouattara, Henri Konan Bédié pose désormais des conditions pour poursuivre les négociations.

Alors que les Ivoiriens enterraient leurs morts de la crise électorale et attendaient patiemment que se concrétise le dialogue politique amorcé par les présidents Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, une semaine plus tôt, vendredi 20 novembre, l'ancien chef de l'État et patron du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) a créé la surprise en stoppant net les négociations.

L'ancien chef de l'État et principal interlocuteur du pouvoir en sa qualité de président du Conseil national de transition a posé comme conditions la libération des opposants détenus et le retour de ceux qui sont à l'étranger. « J'ai suspendu ce dialogue, jusqu'à ce que nos frères soient libérés », a-t-il déclaré dans un communiqué, faisant référence aux leaders de l'opposition tels que Maurice Guikahué, vice-président du PDCI, mais aussi Pascal Affi N'Guessan, président du FPI, toujours derrière les barreaux. 

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Un bras de fer loin d'être terminé

Depuis, les réactions s'enchaînent et le parti au pouvoir, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), est monté au créneau dimanche, en invitant « l'opposition à cesser de ruser avec la paix, car dans cette crise, rien ne peut s'obtenir par la force ou par la violence », a notamment affirmé son porte-parole Kobenan Adjoumani, également ministre de l'Agriculture. « Pourquoi avoir accepté de rencontrer le président Alassane Ouattara à l'hôtel du Golf le 11 novembre dernier, alors que Messieurs Guikahué, N'Dri Narcisse et consorts étaient déjà dans les liens de la détention, et faire aujourd'hui de l'exigence de leur libération immédiate, une condition sine qua non à la poursuite de ce dialogue ? » interroge Adjoumani à propos de HKB.

Même si la tension a baissé d'un cran dans le pays, surtout après la rencontre entre le président Ouattara et Henri Konan Bédié, le 11 novembre, le bras de fer entre le pouvoir et l'opposition est loin d'être terminé. Les deux hommes avaient alors promis d'engager des négociations qui ont commencé en coulisses et étaient encouragées par la communauté internationale. Depuis, c'était le statu quo, chaque camp étant sur ses gardes.

Entre-temps, plusieurs sources ont documenté les violences politiques et entre communautés liées à l'élection présidentielle du 31 octobre qui ont fait au moins 85 morts et près de 500 blessés depuis août, selon un bilan officiel.

 

« La situation sociopolitique qui prévaut convoque tous les acteurs politiques au tribunal de la responsabilité et exige de tous de la retenue », estime Kobenan Adjoumani, qui accuse l'ex-président Bédié d'un « chantage odieux ».

Alassane Ouattara a été réélu pour un troisième mandat controversé face à une opposition qui a boycotté le scrutin et a appelé à la « désobéissance civile », puis qui a proclamé un « Conseil national de transition » censé le remplacer.

 

La justice ivoirienne a lancé des poursuites contre plusieurs leaders de l'opposition, dont certains sont emprisonnés. Avant ce revirement de l'ancien président Bédié, l'opposition avait déjà exigé des « actes d'apaisement » du pouvoir en préalable à tout dialogue politique. Le pouvoir avait levé le blocus autour des domiciles des leaders de l'opposition et libéré certains militants mais gardé en prison notamment le porte-parole de l'opposition, l'ancien Premier ministre Pascal Affi N'Guessan ou Maurice Guikahué, un haut cadre du parti de M. Bédié.

Vers un grand dialogue inclusif

Si ce geste a été jugé insuffisant par l'opposition, les appels au dialogue se multiplient dans le pays comme à l'international. Les évêques de Côte d'Ivoire ont encouragé vendredi le dialogue initié par les deux hommes. « Indignés », les évêques ont « condamné fermement toutes les violences de tous les camps, notamment de ceux qui ont armé et encouragé de jeunes dans le but funeste de massacrer d'autres jeunes ».

Pour l'Église, « les auteurs de ces crimes doivent être recherchés afin qu'ils répondent de leurs actes devant une justice impartiale. Il serait bon de recourir aux services d'une commission d'enquête indépendante (…), il est inadmissible (…) que l'on assiste à des chasses à l'homme à la machette, gourdin et fusil pour ôter la vie à son semblable ».

Les évêques, qui avaient déjà jugé avant le scrutin la candidature du président Alassane Ouattara « pas nécessaire », ont rappelé leur position, estimant que les troubles sont nés d'un « manque d'objectivité dans l'interprétation de la Constitution ».

La loi fondamentale ivoirienne prévoit un maximum de deux mandats, mais le Conseil constitutionnel a estimé qu'avec la nouvelle Constitution adoptée en 2016, le compteur des mandats présidentiels avait été remis à zéro. Ce que l'opposition conteste toujours.

À l'international, outre la prise de parole dans le magazine Jeune Afrique du président français Emmanuel Macron, qui bien que reconnaissant la réélection d'Alassane Ouattara l'appelle à accélérer le dialogue, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a également pris position en faveur d'un « dialogue politique large avec l'opposition », a-t-il fait savoir jeudi. « Je suis encouragé par vos efforts visant à engager un dialogue franc, inclusif et propice à l'apaisement et à la réconciliation nationale » en Côte d'Ivoire, écrit Antonio Guterres au président Ouattara dans un message de félicitation au président pour sa réélection. « Votre récente rencontre » avec l'ex-président Henri Konan Bédié, « qui je l'espère sera étendue aux autres acteurs politiques, est une initiative importante et un pas nécessaire pour la consolidation de la paix », poursuit Antonio Guterres. Rien n'est moins sûr alors que le RHDP affirme qu'il « n'est point question de succomber à ce chantage odieux, à cette surenchère nauséeuse et inacceptable » de la part du chef de file de l'opposition.

Par Le Point Afrique

Le 23 novembre 2020 

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