ENTRETIEN. Le président de l'Union des forces républicaines (UFR), troisième force politique de Guinée, explique pourquoi il persiste, comme le mouvement d'opposition FNDC, à boycotter la présidentielle du 18 octobre. Propos recueillis par Agnès Faivre

Se dirige-t-on vers un troisième duel Alpha Condé-Cellou Dalein Diallo lors de la présidentielle annoncée le 18 octobre en Guinée ? Le chef de file du premier parti d'opposition, l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), a été investi candidat ce dimanche, et pourrait affronter le président sortant. Cellou Dalein Diallo a pourtant longtemps plaidé pour le boycott du scrutin, en résonance avec le FNDC (Front national de défense de la Constitution), auquel il appartient. Depuis avril 2019, ce mouvement citoyen composé de partis d'opposition et d'acteurs de la société civile conteste dans la rue le maintien au pouvoir du président Alpha Condé, élu en 2010 et réélu en 2015. Ses membres ont d'ailleurs, dans leur grande majorité, appliqué le mot d'ordre du boycott, lors du double scrutin référendaire et législatif du 22 mars. Il visait notamment à renouveler la Constitution de 2010, qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels.

 

Cette entrée dans la course à la magistrature suprême du principal opposant va-t-elle modifier la stratégie du FNDC ? Le Point Afrique a posé la question à Sidya Touré. Chef de l'UFR, un parti étiqueté libéral et considéré comme la 3e force politique du pays, il fut Premier ministre (1996-1999) sous la présidence de Lansana Conté, mais aussi haut représentant du président Alpha Condé de 2015 jusqu'à sa démission en 2018. Droit dans ses bottes, il continue d'appeler aujourd'hui au boycott du scrutin et à dénoncer la gouvernance Alpha Condé.

Le Point Afrique : Comment réagissez-vous à la candidature de Cellou Dalein Diallo à la présidentielle, alors que le mot d'ordre qui prévalait jusque-là au FNDC, dont son parti, l'UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée), est une composante majeure, était le boycott de la présidentielle ?

Sidya Touré : Il m'a expliqué qu'il comptait adopter une autre stratégie, à savoir qu'il fallait également mener la lutte dans les urnes. Je suis très compréhensif par rapport à cela, car je sais que sur les questions essentielles, au premier rang desquelles le refus d'un 3e mandat d'Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo se montre lui aussi intransigeant.

Vous comprenez donc son choix ?

Je ne pense pas que c'était la meilleure façon de faire, mais une fois que c'est fait, nul besoin de déplacer le problème. Nous n'avons aucun combat à mener contre Cellou Dalein Diallo, mais contre Alpha Condé.

Cellou Dalein Diallo a déclaré : « Je suis candidat à l'élection présidentielle pour faire perdre Alpha Condé. » Croyez-vous à ses chances de l'emporter face à la machine « RPG » ?

Il a très peu de chances de l'emporter, mais permettez-moi de rectifier votre propos : il n'y a pas d'artillerie RPG. C'est l'administration guinéenne qui travaille pour Alpha Condé, c'est-à-dire les institutions, comme la CENI (Commission électorale nationale indépendante), la Cour constitutionnelle, etc. Les militants du RPG, nous ne les voyons nulle part. Depuis pratiquement deux ans, ils ont complètement disparu du terrain. Alpha se sert des préfets, des sous-préfets… Face à nous, il n'y a pas de parti politique structuré, mais l'administration guinéenne.

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C'est-à-dire qu'au sein des institutions guinéennes, il n'y a plus de contre-pouvoir ?

C'est absolument vrai. Il n'y a plus de contre-pouvoir en Guinée. Il n'y a plus qu'Alpha Condé, ses sbires, et l'argent de la bauxite dont il dispose à volonté.

L'UFDG et sa base militante pèsent lourd au sein du FNDC. La décision de Cellou Dalein Diallo de concourir à l'élection présidentielle aura-t-elle des répercussions sur ce mouvement et sur ses stratégies de contestation ?

Non, nous allons continuer de manifester.

Et vous continuez de dénoncer le double scrutin, législatif et référendaire, du 22 mars 2020, que vous qualifiez de « coup d'État constitutionnel » ?

Mais le scrutin du 22 mars a été une vraie boucherie en Guinée. Il a fait des dizaines de morts. Et pour finir, on constate, au moment de la promulgation de cette nouvelle Constitution, que le texte proposé au référendum a été largement modifié en faveur d'Alpha Condé. Rien ne se passe normalement dans ce pays.

En quoi la version du texte fondamental promulgué par décret en avril est-elle différente du projet initial de nouvelle Constitution ?

Vingt et un articles de cette nouvelle Constitution proposée à la population guinéenne ont été modifiés pour concentrer davantage le pouvoir dans les mains d'Alpha Condé.

Il y a eu des modifications sur le mode de désignation des candidats aux élections, sur la possibilité de candidats indépendants de briguer des mandats électifs (celle-ci a disparu). Lors des vacances parlementaires, le président de la République peut opérer par ordonnance, sauf que dans le texte modifié, les ordonnances deviennent des lois, ce qui n'était pas dans le texte initial et relève en principe du législateur… Une des procédures de nomination des magistrats à la Cour constitutionnelle a aussi été modifiée : les avocats avaient le pouvoir de nommer un juge, et ce pouvoir leur a été ôté dans le texte modifié, pour être confié au conseil de la magistrature. Il faut reconnaître que puisque nous boycottions ce double scrutin, nous ne nous sommes pas assez intéressés à ce texte.

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Le boycott des élections du 22 mars est un mot d'ordre qui était censé perdurer lors de la présidentielle d'octobre. Vous persistez dans cette voie de votre côté ?

Bien sûr. Tout comme le FNDC continue de dénoncer cette Constitution et de réclamer un retour à la Constitution de 2010 qui donnait à tout un chacun sa chance d'être candidat à des élections, et qui interdisait toute modification de la durée du mandat électif.

Mais nous dénonçons aussi la gouvernance d'Alpha Condé.

Quel est son bilan durant ces dix dernières années ? Je ne peux pas vous montrer 100 kilomètres de routes construites en Guinée. Environ 3 milliards de dollars ont été dépensés dans le secteur de l'énergie, mais je ne peux pas vous indiquer une seule ville en Guinée où il y a le courant 24 heures sur 24. Nous ne contestons pas seulement une question légale, mais un régime qui s'est montré inapte à améliorer les conditions de vie des Guinéens. Qu'il s'agisse de la santé, de l'éducation, des infrastructures… Nous mettons trois jours pour aller à Kankan (deuxième ville de Guinée, à environ 600 kilomètres de Conakry) par la route !

Dix ans de gabegie comme on les a subis, ça suffit ! Nous continuons de nous opposer à la présidence à vie d'Alpha Condé.

D'ailleurs, parallèlement aux manifestations du FNDC, nous voyons d'autres contestations, spontanées, entreprises par des jeunes qui ne sont pas issus de nos partis politiques, et qui sont liées à la détérioration de la situation sociale. Même à Kankan, fief du pouvoir, nous assistons à des révoltes pour réclamer le courant. Face à la famine qui s'installe, à la volonté d'Alpha Condé de diviser le peuple de Guinée, au manque de routes, d'électricité, aux agressions de la police jusque dans les maisons, et surtout parce qu'il n'existe aucune perspective de vie meilleure, des jeunes se soulèvent dans plusieurs localités à travers le pays.

Et cela a empiré avec la crise sanitaire. Nous avons vu les répercussions économiques, mais cette période d'état d'urgence a aussi été un prétexte pour les Forces de défense et de sécurité pour se déployer et occuper le terrain. Les gens se sentent coincés de partout.

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Comment s'annonce la présidentielle du 18 octobre ? Vous aviez réclamé une révision du fichier électoral en amont des législatives, qu'en est-il aujourd'hui ?

Plus les élections s'approchent, plus les moyens de pression des Forces de défense et de sécurité, des préfets et sous-préfets sont renforcés. Quant au fichier électoral, on estime qu'il y a toujours2,4 millions d'électeurs fictifs, comme l'avaient estimé les experts de la Cedeao en amont des législatives de mars. Des procédures de correction étaient censées être engagées, mais elles se sont limitées au niveau de la Ceni, qui détient les clés du fichier électoral. Car au moment d'aller aux élections, vous vous rendez compte que ces électeurs fictifs à la disposition d'Alpha Condé sont toujours là.

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En tant que président de l'UFR, membre du FNDC, vous battez régulièrement le pavé en Guinée depuis un an et demi. Comment avez-vous vécu le changement de pouvoir chez votre voisin malien après quelques mois de contestation ?

Nous n'avons pas compris cette différence de traitement, par la Cedeao, entre la Guinée et le Mali. Les Maliens ont organisé des manifestations, mais c'était vraiment en deçà de ce qui se passe chez nous. Peut-être est-ce lié à la situation sécuritaire au Mali, mais on dirait que la Guinée est un cas particulier, un cas isolé. Nous avons chez nous un chef d'État qui a refusé de recevoir ses pairs [de la Cedeao, en amont du scrutin du 22 mars, NDLR], ce qui est en rupture avec la ligne de conduite reconnue dans la sous-région.

Nous avons regardé ce changement de pouvoir au Mali avec des yeux étonnés. Avec environ 10 morts dans des mouvements protestataires, tout a été bouleversé. Mais en Guinée, où on en dénombre plus d'une centaine, personne ne se presse au niveau des organisations régionales.

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Des voix s'étaient pourtant élevées pour critiquer la décision de modifier la Constitution du président Alpha Condé. Ce fut notamment le cas de son homologue nigérien Mahamadou Issoufou ?

Certes. Mais Alpha Condé a refusé de recevoir les délégations de la Cedeao et des chefs d'État africains prévues à Conakry, et ils en sont restés là. Nous aurions aimé qu'ils réagissent. Nous avons des morts, des manifestations récurrentes…

Autre différence avec le Mali, l'armée guinéenne, peut-être davantage à la solde du chef de l'État ?

 

En effet, et à la faveur des réformes engagées ces dernières années au sein des forces de défense et de sécurité. Une partie de l'armée guinéenne est aujourd'hui constituée de milices, d'anciens jeunes militants du RPG qui ont été habillés, et l'argent de la bauxite a permis de favoriser tout cela. Ce qui fait que certains responsables militaires roulent carrosse. La généralisation de la corruption va jusque-là.

Propos recueillis par Agnès Faivre, lepoint.fr

 

Le 8 septembre 2020

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