ENTRETIEN. L'Afrique oblige désormais à de nouvelles approches. Comment HEC Paris s'y adapte-t-elle ? Philippe Oster, son directeur des affaires internationales, répond.

La fulgurante évolution économique vécue par l'Afrique ces vingt dernières années n'a pas échappé à HEC Paris, grande école française créée en 1881 à Paris et installée à Jouy-en-Josas depuis 1964. Branchée sur le continent pour la formation autant initiale que continue, en direction d'étudiants, d'acteurs publics ou privés, HEC Paris a pris le parti de s'imprégner des nouvelles réalités de l'Afrique pour proposer des programmes plus pertinents sur le fond et sur la forme. Au regard de toutes les dynamiques qui travaillent le continent, politiques, économiques, sociales, culturelles mais aussi entrepreneuriales et numériques, la tâche est loin d'être aisée. Comment HEC Paris s'y prend-elle pour délivrer une formation utile à l'Afrique et accompagner les acteurs locaux et internationaux dans les entreprises et administrations publiques ? Réponse de Philippe Oster, son directeur des affaires internationales.

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Le Point Afrique : En quoi est-il pertinent d'être présent en Afrique aujourd'hui ?

Philippe Oster : L'éducation et la formation font partie des priorités de transformation du continent africain. La formation de dirigeants visionnaires, engagés et responsables ainsi que le développement d'un écosystème entrepreneurial fort sont des facteurs clés pour la réussite de cette transformation.

 

Pour Philippe Oster, directeur des Affaires internationales de HEC Paris, "le campus d’HEC constitue une chance, un véritable laboratoire, un lieu d’ouverture à toutes les diversités et d’expérimentation de la paix dans le monde".   © DR

 

Pour HEC Paris, première business school européenne et institution de référence mondiale, le continent africain est d'une importance stratégique capitale. Notre ambition dépasse d'ailleurs le déploiement de formations d'excellence : elle est de créer une communauté de dirigeants et d'entrepreneurs éclairés, internationale et très diverse, cherchant à contribuer au développement et au bien-être de l'ensemble de la société, en Afrique et dans le reste du monde. 

 

Comment êtes-vous présent sur le continent ?

Forte de son ancrage historique sur le continent, HEC Paris y a accéléré son développement ces dernières années. Nous le faisons tout d'abord au travers de partenariats académiques forts. Nous sommes aujourd'hui très présents au Maroc, aux côtés de l'université Mohammed-VI-Polytechnique, ainsi qu'en Côte d'Ivoire, à la suite de la signature d'un partenariat avec l'Institut national polytechnique Houphouët-Boigny.

De nombreux projets communs, notamment dans le domaine de l'entrepreneuriat, sont en cours avec ces partenaires.

L'ouverture à Abidjan en 2018 d'un bureau de représentation a par ailleurs impulsé une nouvelle dynamique, qui bénéficie de la relation de proximité et de confiance établie avec le tissu économique en Afrique du Centre et de l'Ouest. Nous y poursuivons le développement d'un véritable portfolio de programmes à destination des cadres dirigeants, coconstruit avec nos partenaires locaux et répondant aux exigences de formation des secteurs public et privé.

La présence de HEC Paris sur le continent est aussi très largement portée par le dynamisme de nos diplômés, en nombre croissant. Quatorze chapitres alumni les réunissent aujourd'hui, les plus récents ayant été lancés au Nigeria et au Kenya en 2018, ainsi qu'au Gabon en 2019.

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Comme grande école française, HEC Paris est un pôle d'excellence. Y accéder est un vrai défi. Comment composez-vous avec les réalités académiques, économiques et financières africaines pour ne pas passer à côté des meilleurs potentiels du continent ?

Accroître la présence des étudiants africains au sein des programmes diplômants de l'école nous tient tout particulièrement à cœur. Notre ambition est de porter le nombre d'étudiants du continent à 15 % des effectifs dans les cinq prochaines années. Nous sommes actuellement au milieu du gué, avec un peu plus de 8 %.

Pour atteindre cet objectif, nous disposons d'atouts indéniables, parmi lesquels une attractivité très forte de l'école, en particulier dans les pays francophones. Cependant, dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne, les crises économiques ou politiques ont été un obstacle au recrutement, tout comme l'a été et continue de l'être une forme d'autocensure des étudiants, qui « n'osent pas » candidater à HEC Paris.

C'est pourquoi nous avons lancé en 2019 un dispositif inédit : le programme d'accompagnement des talents africains (PACT Afrique). Destiné aux étudiants désireux de se préparer au concours d'admission internationale à la grande école de HEC ParisPACT Afrique prépare de jeunes talents présélectionnés, sur la base de leurs résultats académiques et de leur motivation, aux épreuves écrites et orales du concours. L'objectif est de les mettre en confiance et de leur donner les outils nécessaires pour bien appréhender ces épreuves très sélectives. En 2019, ce sont ainsi 16 étudiants qui ont été sélectionnés pour la toute première édition du programme PACT, et 5 d'entre eux ont intégré le prestigieux programme grande école à la rentrée dernière. En raison de ce succès, 23 étudiants viennent d'intégrer la deuxième promotion PACT, sélectionnés parmi 115 candidats.

 

Koffi N’Guessan, directeur général de l’Institut National Polytechnique Houphouët-Boigny, joue un rôle important dans la relation de HEC Paris avec la Côte d'Ivoire © DR

 

Ce programme a été rendu possible par le soutien de la Fondation HEC et l'engagement de donateurs diplômés de l'école, qui en financent le développement, par la détermination de M. Koffi N'Guessan, directeur général de l'INP-HB, ainsi que le soutien du gouvernement de la Côte d'Ivoire, qui attribue des bourses d'excellence aux candidats admis dans les grandes écoles françaises.

Nous ambitionnons désormais de déployer le programme PACT dans d'autres pays limitrophes, dès l'année prochaine.

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Sur le terrain académique, la concurrence est rude avec une multiplication d'écoles africaines souvent en partenariat avec des universités américaines, chinoises, canadiennes, indiennes ou autres. Comment vous y prenez-vous pour offrir un produit compétitif pour fournir tant les entreprises locales que les entreprises internationales à la recherche de compétences africaines ? 

Nous disposons d'un avantage compétitif très important : la reconnaissance des entreprises au niveau mondial, saluée chaque année dans les classements internationaux. La première place européenne, obtenue une nouvelle fois cette année dans le classement des business schools européennes du Financial Times, est très largement due au très bon placement de nos étudiants, quel que soit le programme considéré.

Les diplômés de HEC Paris sont très recherchés au sein des grandes entreprises, françaises et internationales. Ces entreprises viennent chercher sur le campus les compétences africaines : il s'agit d'une part de nos étudiants africains qui envisagent de plus en plus de retourner sur le continent pour être acteurs de la transformation, mais il s'agit aussi d'un nombre significatif d'étudiants français attirés par l'Afrique, ou encore d'étudiants internationaux s'intéressant à l'Afrique et qui viennent à HEC Paris car l'école est perçue comme une porte d'entrée vers le continent.

En témoigne le succès récent de notre troisième édition des Africa Business Days, un événement organisé en novembre par les étudiants du MBA de HEC Paris et dédié aux carrières en Afrique, très apprécié par les entreprises qui y participent.

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L'Afrique bouge énormément et découvre de nouveaux besoins quant aux compétences de ses cadres dans une logique de développement où il faut créer de plus en plus de valeurs locales. Comment vous positionnez-vous dans cet univers ?

Le renforcement de l'expertise managériale et entrepreneuriale des décideurs s'appuie aujourd'hui en particulier sur de nouveaux programmes conçus pour l'Afrique, coconstruits avec des partenaires locaux, où l'expertise locale s'ajoute à l'expertise HEC Paris.

Une offre de certificats capitalisables et d'executive masters spécialisés à vocation africaine a ainsi vu le jour ces dernières années, et ils sont délivrés depuis le Maroc et la Côte d'Ivoire. Au Maroc, où depuis 2011 HEC Paris forme les cadres du groupe OCP, un executive Master en géopolitique et géo-économie de l'Afrique émergente ainsi qu'un programme certifiant de finance sont délivrés avec succès depuis 2018 avec l'université Mohammed-VI. En Côte d'Ivoire, HEC Paris a lancé en 2016 le programme MUST (Management d'une unité stratégique),un programme de haut niveau réunissant à Abidjan des cadres dirigeants d'Afrique francophone.

 

En direction de la diaspora africaine, HEC Paris assure un suivi régulier. En septembre 2018, elle était à côté de la Société Financière internationale et de Talent2Africa lors du premier African Leadership Forum organisé à Paris.  © DR

 

Nous déployons également sur le continent et depuis quelques années une offre en mode blended (présentiel et en ligne), comme pour notre executive certificate finance, ou 100 % en ligne, comme pour nos formations en finance, en stratégie ou en entrepreneuriat et innovation. Cette expertise que nous avons déployée sur les formations en mode blended ou 100 % en ligne nous permet par ailleurs d'assurer la continuité des enseignements en cette période de crise sanitaire.

En Afrique, HEC Paris bénéficie aussi d'une expertise reconnue dans le secteur public.

Entre 2007 et 2020, les programmes AGORA (Accompagnement gouvernemental des réformes en Afrique) ont accompagné le changement des administrations (agents, cadres et hauts fonctionnaires) de plusieurs ministères et pays africains (Côte d'Ivoire, Togo, Gabon, Congo Brazzaville). Dernier en date, CAP2020 est le deuxième programme Agora soutenu par le gouvernement ivoirien.

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Pour créer plus de richesses, les Africains sont de plus en plus acteurs de la dynamique d'entrepreneuriat et d'innovation qui prévaut sur le continent. Comment faites-vous pour préparer vos étudiants, en formation initiale ou continue, à affronter cette réalité avec le maximum d'atouts ?

L'entrepreneuriat et l'innovation constituent un axe fort de développement de l'activité de l'école, comme en témoigne notre devise historique « Apprendre à oser / Learn to Dare ». Nous avons construit au fil des années un écosystème entrepreneurial très développé, très robuste et très efficace, sur la base d'une pédagogie unique, basée sur le learning by doing. Notre mission est triple : développer l'esprit d'entreprendre, accompagner les projets entrepreneuriaux portés par la communauté HEC Paris, soutenir et amplifier leur développement.

Aujourd'hui, ce sont 100 % des étudiants au sein de nos programmes diplômants qui sont sensibilisés à l'entrepreneuriat et à l'innovation, et 400 projets de start-up accompagnés en rythme annuel, avec un taux de survie à 3 ans de 85 %. Notre incubateur, basé à Station F, le plus grand campus de start-up du monde, est désormais aussi sélectif que Harvard !

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Notre ambition est grande car nous considérons que ne nous ne sommes qu'à 5 % de notre potentiel de développement en la matière. Ce développement passe par l'international, et en particulier par le déploiement de notre expertise entrepreneuriale sur le continent africain. Notre ambition est de créer un réseau international d'incubateurs, de centres dédiés à l'innovation et à l'entrepreneuriat, pour amplifier encore notre action au service de nos étudiants et de nos diplômés. C'est ainsi que nous avons d'ores et déjà initié des projets d'incubateurs au Maroc et en Côte d'Ivoire, en partenariat avec l'INP-HB, qui viennent compléter un dispositif global déployé en Asie, avec une empreinte très forte en Chine dans le hub technologique de la zone de Shenzhen, au Moyen-Orient, en particulier au Liban et au Qatar, ainsi qu'en Europe.

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Sur quels points les patronats locaux vous sollicitent-ils le plus et quelles relations entretenez-vous avec eux ?

Les patronats africains ont joué un rôle fondamental dans le développement de nos activités sur le continent. Le choix d'implantation de notre bureau régional à Abidjan s'est naturellement tourné vers la Confédération générale des entreprises de Côte d'Ivoire (CGE-CI), avec qui nous entretenons des relations de proximité de longue date. Des programmes certifiants HEC executive education sont régulièrement proposés aux membres de la CGE-CI, qui reste de fait un partenaire clé dans le déploiement de nos activités.

Nous avons pour ambition de développer encore plus nos partenariats avec les patronats africains, comme actuellement au Cameroun où nous assurons une présence régulière du fait de nos actions menées en partenariat avec la Banque centrale des États de l'Afrique centrale.

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Alors que le grand marché africain, la Zlecaf, se met en place, les espaces francophones, anglophones, lusophones, hispanophones et arabes vont se fondre progressivement les uns aux autres. Comment vivez-vous cette nouvelle donne et quelle stratégie déployez-vous pour être à son diapason ?

L'organisation ces dernières années d'un nombre impressionnant de forums, de conférences, et d'événements culturels concernant l'Afrique ont été autant d'occasions d'appréhender les nouvelles orientations et la transformation du continent. 

Dans ce contexte en pleine évolution, un premier pas important a été mené pour développer le recrutement d'étudiants de toutes les régions du continent africain, dans tous nos programmes. Ainsi, nos programmes MBA et Executive MBA, entièrement dispensés en anglais, accueillent de plus en plus d'étudiants africains anglophones – Afrique du Sud et Nigeria en tête.

 

Plus de 110 nationalités se côtoient dans l'enceinte du campus de HEC Paris à Jouy-en-Josas. © DR

 

Un deuxième pas a été la création de programmes à vocation panafricaine, comme Lead Campus. Sustainable Leadership in Africa. Lancé en 2019 par HEC Paris en partenariat avec l'université UM6P au Maroc et Capetown BS en Afrique du Sud, ce programme multisites (Maroc, Côte d'Ivoire, Afrique du Sud, Kenya, France) a pour ambition de rassembler les talents et de capitaliser sur le potentiel conjugué de l'Afrique francophone et de l'Afrique anglophone. Les enjeux et défis d'un continent en transition et la question du développement durable (gestion des ressources, empreinte carbone, inclusion sociale...) président ici à la compréhension de nouveaux modèles d'organisations plus performantes, plus responsables et plus inclusives.

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Au regard de la diversité de l'origine de vos étudiants, les questions d'interculturalité et de multiculturalité sont réelles autant dans le fonctionnement de HEC Paris que dans ses programmes de formation. Comment y sont-elles approchées ?

HEC Paris compte actuellement plus de 110 nationalités et près de la moitié de nos étudiants est d'origine étrangère. Ce brassage inter et multiculturel est une chance et une richesse, et reflète l'un des trois piliers des valeurs défendues par notre école que sont l'excellence, la diversité et la communauté.

Nous encourageons ainsi la diversité sous toutes ses formes et facilitons l'intégration de nos étudiants internationaux au sein de nos programmes, mais également de la vie associative, fondamentale dans la construction de l'expérience HEC Paris.

C'est en effet une opportunité exceptionnelle qui est offerte à nos étudiants d'apprendre à étudier, à travailler, à vivre au sein de cette communauté internationale, qu'ils ne pourraient trouver ailleurs. C'est ainsi que se tissent des réseaux personnels et professionnels, des amitiés durables, mais également une meilleure compréhension de ce monde et des dynamiques qui l'animent. En cela, le campus de HEC constitue une chance, un véritable laboratoire, un lieu d'ouverture à toutes les diversités et d'expérimentation de la paix dans le monde. 

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Au final, quels sont les défis de HEC Paris en Afrique dans les prochaines années ? 

Nous souhaitons consolider et amplifier notre présence dans les régions francophones à travers le déploiement de notre programme PACT Afrique, de notre offre de formation executive education délocalisée sur des thématiques pays, de notre expertise entrepreneuriale et de nos centres dédiés à l'innovation.

 

Notre défi pour les années à venir est également de déployer notre présence dans les pays anglophones en poursuivant notre recrutement d'étudiants talentueux, en développant des programmes panafricains tels que Lead Campus, en encourageant les échanges d'étudiants, de l'Afrique vers la France mais aussi de la France vers l'Afrique, et enfin en faisant de l'Afrique et de ses enjeux un centre d'intérêt majeur pour toute la communauté HEC.

Propos recueillis par Malick Diawara
Le 10 janvier 2021

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