En froid avec la France depuis un troisième mandat bien peu constitutionnel, le président guinéen Alpha Condé a choisi de renforcer ses liens avec la Turquie et avec la Russie. 

Ce n’était pas arrivé depuis plus de dix ans : le président guinéen Alpha Condé a passé près de huit mois sans mettre les pieds en France. Sans venir prendre ses quartiers dans le palace habituel de l’Avenue Kléber, dans le XVI è arrondissement, qui l’héberge et où il recevait habituellement ses amis de toujours : Bernard Kouchner et Albert Bourgi. Le président guinéen y recevait aussi des anonymes qu’il a connus pendant les dizaines d’années d’exil passées dans son appartement de l’Avenue d’Italie, dans le 13 è arrondissement. Ce n’est pas à cause de la pandémie du Covid 19 qu’Alpha Condé a renoncé à fouler le sol français.

Le vent tourne

Depuis le départ du pouvoir de son grand ami François Hollande, qui lui ouvrait les portes de l’Elysée à chacun de ses passages parisiens, Alpha Condé a senti le vent tourner. Avec Emmanuel Macron, on est revenus à des relations « normales » entre un président français et son homologue africain. Il n’y a plus les privilèges accordés entre camarades socialistes.
Pour acter le troisième mandat d’Alpha Condé,
Emanuel Macron s’est contenté des
« voeux de succès » à son homologue Guinéen

Entre Paris et Conakry, les relations finissent par virer à la mésentente lorsque le président guinéen décide de modifier la Constitution de son pays pour briguer en troisième mandat. Les mises en garde de Macron et les coups de menton du Quai d’Orsay n’y feront rien : Alpha Condé organise son référendum au prix de la mort d’une trentaine de ses compatriotes puis met en scène son élection pour un troisième mandat au prix d’un autre lourd bilan humain.

L’ancien leader de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) ne posera aucun geste d’apaisement en Guinée après sa réélection. Au contraire, la répression devient implacable avec l’arrestation des dizaines d’opposants pour des infractions à caractère politique. La mort en détention de l’opposant Roger Bamba en décembre 2020 et celle de Mamadou Oury Barry, autre figure de l’opposition en janvier 2021, pousse la France, soutenue par l’Union européenne, a monté au créneau pour dénoncer les atteintes au droit de l’homme en Guinée. Paris et l’UE brandissent désormais la menace de sanctions européennes contre la Guinée. 

Alpha Condese voit en « nouveau Sekou Touré »,
son lointain prédécesseur qui avait dit non au général de Gaulle

Le nouveau Sekou Touré 

Les déclarations de Macron, de Le Drian, de l’Union européenne et les menaces de sanctions laissent de marbre le président guinéen. Sachant le poids de l’histoire entre la France et la Guinée, Alpha Condé tente de jouer sur la fibre nationaliste des Guinéens. Il se voit en « nouveau Sekou Touré », son lointain prédécesseur qui avait dit non au général de Gaulle lors du référendum de septembre 1958, face aux remontrances de la France qu’il veut faire passer pour de l’arrogance coloniale. 

 Mais, cette mayonnaise ne semble pas prendre. Une grande partie de l’opinion considère en effet qu’il y a un problème non pas entre la France et la Guinée, mais entre Condé et Paris.  Le président guinéen sort alors carte de la diversification des relations extérieures de la Guinée. Il décide de donner un coup d’accélérateur au rapprochement amorcé dès 2016 avec la Turquie.  Le 15 décembre 2020, Lors de la prestation de serment du président Alpha Condé pour son troisième mandat, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusglu était assis au premier rang des personnalités invitées. 

 Alpha Condé avait déjà accueilli en 2016 à Conakry son homologue turc Raccep Tayyip Erdogan avant d’effectuer en retour une visite d’Etat la même année à Ankara. Les échanges économiques entre la Guinée et la Turquie sont passées de 30 millions de dollars en 2013 à 190 millions en 2019.

Des relations privilégiées entre la
Guinée et la Russie

L’axe Moscou-Conakry

Mais c’est de Moscou que viendra pour Alpha Condé le soutien politique qui lui permet de faire le dos rond face aux pressions de plus en plus fortes de l’Union européenne, emmenée par la France. L’ambassadeur de Russie à Conakry Alexendre Bregadzé, également Doyen du corps diplomatique en Guinée, avait dès janvier 2019 publiquement pris et cause pour la modification de la Constitution afin de permettre à Alpha Condé de rester au pouvoir.

Le président guinéen s’est, pour sa part, s’est rendu à Moscou en 2016, en 2016 et 2019, assumant très clairement la naissance d’une relation privilégiée avec la Russie au moment où celles avec la France se dégradent. Lire la suite ICI

Une chronique de Francis Sahel
Le 1er février 2021

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