Dans un décret rendu public le 3 juin 2018, le président de la République, le Professeur Alpha Condé a nommé l’ex ministre des Transports, Oyé Guilavogui, au poste de ministre de l’Environnement, des Eaux et Forêts. Le titulaire du poste, Patrick Roger Millimono, nommé quelques jours plus tôt dans un décret du 26 mai 2018 a été réaffecté au ministère de l’Elevage. Pour des raisons d’influence et de marchandage, le chef de l’Etat a préféré faire une permutation entre ces deux personnes, afin de ne pas « perdre » Kindia, ville adoptive du désormais ministre de l’environnement. La communauté Kissi, se sentant flouée, exige la démission de Patrick Roger Millimono. Ce dernier fait fi des exigences de sa communauté pour rester avec le pouvoir : « Pour moi, il n’y a pas de petit ministère. Quand on veut travailler, on travaille pour sortir le pays des difficultés qu’il rencontre dans tous les secteurs. Donc, je ferai ce que je peux pour le pays au niveau de ce ministère tant que j’y serai » a-t-il déclaré. La montée du communautarisme est-elle soluble dans la République ou au contraire constitue-t-elle une menace pour tout l’édifice républicain ?

Le communautarisme, souvent dénoncé comme facteur de division de la société, ne touche pas uniquement la population. Les élites, qui ont par fonction ou par délégation le pouvoir de « dire » et de « faire » au nom et pour les autres, sont elles aussi frappées par ce phénomène de repli sur leur groupe d’appartenance. Alors qu’on attend d’elles un esprit d’ouverture, une vision originale, la capacité de se remettre en cause, ce dangereux « entre- soi » produit à l’inverse le conformisme, la peur de la nouveauté et plus gravement encore la déconnexion d’avec la société dans sa globalité.

Comme pour tous les communautarismes, les effets dissolvants de l’« entre-soi » des politiciens sont loin d’être anodins. Le repli des catégories les plus élevées mine à bas bruit le pacte de coexistence démocratique qui lie les groupes sociaux dans les sociétés évoluées. Raisonnant dans un circuit fermé, où tout le monde est du même avis, la pensée du groupe n’est soumise à aucune contradiction constructive, ce qui génère un conformisme général et son corollaire, l’absence de prise de risques. Les voix discordantes sont rejetées en dehors du “cercle de la raison”. Dans l’entre- soi, on préfère raisonner en théorie plutôt que par l’épreuve de l’expérience, cela conduit inéluctablement à de graves erreurs de jugement collectives. D’où, cette incroyable emballement politico-médiatique lors de l’affaire Oyé Guillavogui. De tels écarts soulignent le déphasage actuel de ceux qui ont le pouvoir, celui de « dire » et de « faire » au nom des autres. Pour y remédier, l’élite politique croit avoir trouvé la solution, en se réfugiant derrière les fameux « éléments de langage » chers aux communicants.

Un remède pire que le mal car il vient assécher tout apport d’intelligence personnelle au nom d’une vaine quête d’efficacité, à un moment où l’on a plus que jamais besoin d’idées neuves. Les bienpensants sont dans l’incantation. Mais comme ils ne sont pas convaincus eux-mêmes par ce qu’ils racontent, ils n’arrivent naturellement pas à convaincre. Serait-ce une raison de la perte de crédibilité des élites ? Crise de représentativité, d’efficacité, et de confiance : l’« entre-soi » des élites aggraverait-il les maux de la société guinéenne ? Un pays est formé de l’ensemble de ses petits « pays » qui, unis, solidifient le socle de la République.

Vivre à l’âge de pierre en petits groupes se jalousant les uns les autres, repliés sur soi, sans échange autre que le troc et la poignée de main remplaçant le contrat ; influencer pour placer son « poulain », marabouter pour occuper le terrain, braconner sur les terres du voisin, enlever ses fillettes pour en faire des mères ; brûler le champ de l’« autre » que l’on déteste parce qu’il n’est pas comme nous…. Jetez vos téléphones portables, arrachez les lignes électriques et crevez les conduites d’eau potable si vous estimez que votre « clan » est supérieur aux autres… La Guinée en est-elle encore à « la guerre du feu ? »

A quelle communauté faut-il appartenir pour faire plier le pouvoir ? Le père devient-il plus fort si son fils gagne à la lutte ?

 

Ousmane Boh Kaba
Le 6 juin 2081