Un témoignage de Mamadou, demandeur d'asile de 19 ans ayant participé à un atelier d'écriture Scan-R qui aide les jeunes de 12 à 30 ans.

"Je suis monté dans le bateau. Mon frère devait en prendre un autre. C’était la nuit, c’était la première fois que je montais dans un bateau… et c’est comme ça que j’ai perdu mon frère."

En février 2017, il y a eu à Conakry, en Guinée, plusieurs manifestations. Enseignants, syndicats et élèves exigeaient de meilleures conditions de travail. Même si un accord a finalement été conclu, cela n’a pas été sans violences. Il y a eu cinq morts. Mon grand frère, mon père et moi, nous participions à cette manifestation. Les policiers étaient là pour nous tabasser tout en disant que c’était nous qui provoquions leur violence…

 

Depuis son arrivée au pouvoir, le Président Alpha Condé a créé des conflits entre les différentes ethnies. Il dit, par exemple, que les Peuls, dont nous sommes, sont des étrangers, ne sont pas du pays. C’est pourquoi, lors des manifs, les policiers s’attaquent à nous plus qu’aux autres. Mon père a discuté avec eux, il a dit qu’il porterait plainte. Les policiers ont répondu qu’ils s’occuperaient de lui avant… Mon grand frère lui a dit qu’il fallait se calmer, qu’il n’y avait pas de justice… Un policier a ajouté : "Ce n’est pas parce qu’on vous laisse manifester que vous pouvez faire tout ce que vous voulez…" Ils sont remontés dans leurs 4x4 et sont partis. Nous, nous sommes rentrés chez nous.

Pendant la nuit, alors qu’on dormait, on a entendu des policiers dans la maison et puis, un coup de feu. Mon grand frère m’a attrapé et nous nous sommes cachés derrière la maison. On a entendu : "Il faut aller voir dans l’autre chambre si les enfants sont là-bas…"

La fuite

On est partis à la gare et on a rencontré un monsieur qui nous a amenés chez lui. Il nous a promis qu’il allait nous aider à quitter la Guinée, il nous a dit qu’on pouvait lui faire confiance. Sans avoir le choix, on l’a écouté et, pendant plusieurs jours, on a voyagé. Nous sommes passés par le Mali, le Niger, l’Algérie pour, enfin, arriver en Lybie. Mauvaise surprise, nous sommes jetés en prison… On a expliqué aux gardiens que nous n’avions pas payé notre transport. On pensait qu’on nous aidait mais en fait, nous avions été vendus. Pour sortir de là, on devait payer… "Tant que vous n’aurez pas payé, vous ne sortirez pas." Après cela arrivèrent les coups… Pendant trois mois, on s’est fait frapper par les gardiens.
Un matin, un homme est venu demander des bras pour travailler dans les champs. On a eu de la chance, mon grand frère et moi avons été choisis. Quand l’homme a voulu nous payer, on lui a demandé de nous aider à fuir plutôt qu’autre chose. Il a accepté et s’est occupé de nous. Après quelques heures de repos, il nous a amenés vers des bateaux qui effectuaient la traversée vers la Sicile. Il y avait beaucoup, beaucoup de monde…

Je suis monté dans le bateau. Après moi, il n’y avait plus aucune place. Mon frère devait en prendre un autre. C’était la nuit, c’était la première fois que je montais dans un bateau… et c’est comme ça que j’ai perdu mon frère. Aujourd’hui, je ne sais toujours rien de lui. Arrivé en Italie, j’ai été placé dans un centre pendant neuf mois. Chaque jour, je regardais les nouveaux arrivants pour retrouver mon frère, mais je ne l’ai jamais revu.

Le parc Maximilien

J’ai quitté l’Italie avec un Sénégalais. C’est avec lui que je suis arrivé en Belgique via la gare de Bruxelles-Midi. Très vite, on m’a dit d’aller au parc Maximilien. Après quelques allers-retours, pendant plusieurs jours, entre l’Office des étrangers, un centre Fedasil, le parc, la Porte d’Ulysse, j’ai rencontré ma famille d’accueil. Elle m’a hébergé et m’a trouvé un avocat pour défendre mon dossier. Dans la famille, il y a Carmen, qui porte le même nom que ma grand-mère, et Nicolas. En février de cette année, j’ai été convoqué à l’Office des étrangers : aucune nouvelle sinon un nouveau rendez-vous pour juillet. Là, ce fut une catastrophe, j’ai été conduit au centre fermé 127 bis pour être reconduit en Italie, le pays par lequel je suis arrivé en Europe… Après différents échanges entre mon avocat et la justice, j’ai heureusement pu retourner dans ma famille d’accueil.

Aujourd’hui, il y a une demande de protection internationale qui est toujours en cours et dont nous n’avons, pour le moment, aucune nouvelle… En attendant et en espérant une réponse positive, je suis des cours de français, de néerlandais, d’intégration… Je fais du foot à Anderlecht, comme d’autres jeunes, je fais mon service citoyen : j’apporte mon aide dans un service d’accueil pour les personnes âgées. Je remercie ma famille qui m’a accueilli, mon avocat et les avocats qui défendent les droits humains, les associations d’hébergement et les citoyens belges, et j’espère un jour pouvoir me dire que j’ai enfin trouvé une place pour vivre en paix avec et parmi tout le monde.

 

 

Lalibre.be
Le 6 décembre 2019

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