Alors que le pays compte encore ses morts après les premières manifestations contre un éventuel troisième mandat d'Alpha Condé, les pistes de sortie de crise politique se font rares. La Guinée semble s'enfoncer dans l'instabilité. Au moins cinq manifestants et un gendarme ont été tués lundi dans des heurts entre les forces de sécurité massivement déployées dans la capitale Conakry et des milliers d'opposants à un éventuel troisième mandat de l'actuel président Alpha Condé, rapporte l'AFP dans un dernier bilan. Alors que le pays compte encore ses morts, les sources surgissent de toutes parts, rendant difficile le travail de vérification des chiffres tant les images et les vidéos circulent rapidement de plusieurs endroits à l'intérieur du pays et à l'extérieur aussi.

 

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Appel à manifester

Ce que l'on sait, c'est que des milliers de Guinéens sont descendus dans les rues lundi et mardi à l'appel d'un collectif d'opposition et de la société civile. D'après de nombreux témoignages publiés sur les réseaux sociaux ou les médias, des violences ont émaillé les différents cortèges. L'Agence France-Presse relate que « des centaines de jeunes très mobiles ont érigé des barricades, brûlé des pneus et lancé des pierres sur les policiers et gendarmes à nouveau massivement déployés à Cosa, Koloma ou encore Bambéto, quartiers périphériques de la capitale et fiefs de l'opposition ». Ajoutant que le bilan « des heurts s'est encore alourdi, passant à cinq manifestants tués après la mort d'un chauffeur de 27 ans, atteint par balle à l'abdomen, selon le médecin qui l'a traité et son père ». Les autorités ont fait état, elles, de deux morts, dont un gendarme.
En effet, le gouvernement avait prévenu qu'il ne céderait « pas le moindre centimètre carré au règne de l'anarchie ». Le ministre de l'Intérieur, le général Bouréma Condé, a indiqué que la mobilisation s'était limitée à « quelques regroupements et échauffourées ». Plusieurs personnes ont été arrêtées et « les forces de l'ordre maîtrisent globalement la situation », a-t-il dit dans un communiqué. Et pourtant c'est une tout autre histoire que racontent plusieurs Guinéens.

« Comme d'habitude, des forces de sécurité ont débarqué à Conakry en partance de Kindia pour aller réprimer les manifestants à Conakry, plus particulièrement dans la banlieue de la commune de Ratoma, Hambdallaye, Bambéto, Cosa, Sonfonia, etc. Il faut également souligner que les acteurs politiques sont confinés chez eux par la police et la gendarmerie ; des acteurs de la société civile (membre du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), dont Abdourahmane Sano (coordinateur de la PCUD et du FNDC) ; Sékou Koundouno (coordinateur du Balai Citoyen), Alpha Soumah (Bill de Sam, membre de l'UFR), Ibrahima Diallo, Badra Koné (2e vice-maire de la commune de Matam, Malal Diallo (l'un des responsables du mouvement politique MoDeL, Élie Kamano (artiste) ont été arrêtés manu militari dans leurs domiciles pour certains, et d'autres lors des manifestations. Tout cela, sans compter les jeunes manifestants arrêtés à Conakry et à l'intérieur du pays », explique au Point Afrique Bah Oumar Rafiou, un agent administratif membre actif de la société civile actuellement basé en Belgique. Photos et vidéos reçues depuis son pays d'origine, ce dernier a confié que les Guinéens se préparaient depuis un long moment à de telles actions.

« Lors de son dernier séjour aux États-Unis, le chef de l'État, Alpha Condé, avait exprimé sa volonté de changer la Constitution en appelant ses militants à se préparer pour le référendum et les législatives, alors qu'il avait instruit son Premier ministre à mener des consultations afin de donner l'opportunité aux acteurs politiques, organisations de la société civile et syndicats d'exprimer leurs avis sur la Constitution », poursuit-il. « Mais les principaux acteurs politiques ont refusé de participer parce qu'ils estiment que c'est légitimer un projet qu'ils considèrent être une farce », conclut-il.

Éventuel troisième mandat

En effet, la tension n'a cessé de monter depuis l'appel à la manifestation lancé il y a une semaine par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). Cette coalition rassemblant des partis d'opposition, des syndicats et des membres de la société civile s'oppose résolument à une révision de la Constitution évoquée par le pouvoir. Elle permettrait à Alpha Condé de se présenter pour un troisième mandat, alors que la Constitution en limite le nombre à deux.

L'opposition s'attend à ce qu'il officialise bientôt la tenue d'un référendum constitutionnel. Elle dénonce un projet de coup d'État institutionnel et la dérive « dictatoriale » de celui qui fut lui-même un opposant historique ayant connu la prison pour son engagement contre différents régimes autoritaires, avant de devenir le premier président démocratiquement élu de cette ex-colonie française d'Afrique de l'Ouest.

Le point de départ de ces mobilisations ? L'appel du président Alpha Condé à devoir réécrire la Constitution actuelle après des consultations générales. Mais pas seulement. Le contexte est très complexe, puisque l'article 27 de la Constitution guinéenne indique que « la durée du mandat présidentiel est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non. » Seulement, Alpha Condé, élu une première fois en 2010 puis réélu en 2015, achèvera son deuxième et dernier mandat en 2020. Il lui est impossible de modifier l'article 27 en cas de révision constitutionnelle, car « le nombre et la durée des mandats du président ne peuvent faire l'objet d'une révision » (article 154). Reste alors, pour le dirigeant guinéen, la possibilité de réécrire une nouvelle Constitution ensuite, de faire accepter ce projet par le Conseil constitutionnel, en passant par l'avis consultatif des députés, puis d'organiser un référendum afin que le peuple valide le texte.
Un contexte explosif

Plusieurs facteurs expliquent la dégradation de la situation en Guinée : d'une part, malgré une amélioration par rapport aux sombres régimes précédents, des dizaines de manifestants ont été abattus par les forces de sécurité depuis l'accession du président Alpha Condé à la présidence en 2010. Plusieurs policiers et gendarmes ont été tués par des manifestants. Depuis plus d'un an, le gouvernement interdit de fait les manifestations de rue, dit l'ONG Human Rights Watch. « Étant donné leur bilan désastreux [en termes de respect des libertés, NDLR], les autorités doivent prendre des mesures immédiates pour briser le cycle de la violence avant qu'il n'échappe à tout contrôle », a dit Amnesty International dans un communiqué.
D'autre part, le niveau de vie de la population ne s'est pas amélioré depuis 2010. Malgré les revenus tirés de ses minerais (notamment de la bauxite, mais aussi de l'or, du diamant ou du fer), la Guinée reste un pays pauvre, classé 182e sur 188 sur l'échelle du développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Après les espoirs suscités en 1984 par le décès de Sekou Touré, héros de l'indépendance nationale devenu dictateur, l'essor économique ne concerne que des secteurs très limités. Tandis qu'une minorité, gravitant autour du pouvoir, s'enrichit, la majorité des habitants a de plus en plus de mal à vivre.

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Vives réactions

Parmi les réactions à l'international, celle du secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, qui « suit la situation avec une inquiétude grandissante », selon son porte-parole Stéphane Dujarric à New York. Il exhorte tous les acteurs au dialogue et appelle les forces de sécurité à une « retenue maximale ».

Afin de trouver une issue à la crise, le président de la République s'est adressé aux Guinéens à travers un communiqué dans lequel il appelle à l'apaisement, regrette aussi le manque de dialogue avec toutes les parties. Il avance aussi quelques pistes pour rétablir la confiance de l'opposition. Il a notamment proposé de revoir le chronogramme des élections législatives promises pour la fin décembre 2019 – et qui pourraient être reportées afin d'être plus inclusives. Enfin, hier, lundi, le directeur général de la police judiciaire a été limogé de ses fonctions.

lepoint.fr, Par Viviane Forson

 

Le 16 octobre 2019

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