Le premier ministre a dévoilé les axes de sa politique migratoire : des mesures pour la plupart déjà annoncées, voire déjà en vigueur, qui permettent au gouvernement de montrer qu’il occupe le terrain.
Immigration, acte II. Edouard Philippe devait présenter mercredi 6 novembre au matin vingt mesures qui sont les grands axes de sa politique migratoire, dont Le Monde a pu prendre connaissance. La réponse au débat qui s’est tenu au Parlement en octobre et qui, à la demande du président de la République, devrait désormais se tenir chaque année.

Ce rendez-vous constitue surtout l’un des multiples épisodes d’un automne que l’exécutif a souhaité orienter sur le régalien, notamment dans la perspective d’un duel avec l’extrême droite lors de la présidentielle de 2022, quand, sur le front social, son agenda s’embourbe, en particulier concernant la réforme des retraites.

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Après le long entretien accordé notamment sur ce sujet par Emmanuel Macron à l’hebdomadaire Valeurs actuelles la semaine dernière, au tour d’Edouard Philippe de s’exprimer, à peine un mois après l’avoir fait devant l’Assemblée, puis le Sénat. Pourquoi reprendre la parole ? Soucieuse que le débat d’octobre en soit vraiment un, la majorité macroniste avait insisté pour que le rendez-vous parlementaire ne soit pas le moment de faire des annonces. L’exécutif s’est donc donné un mois supplémentaire avant d’avancer de nouveaux arbitrages.
Le gouvernement a aussi été pris par le calendrier. Il avait missionné les inspections générales des finances (IGF) et des affaires sociales (IGAS) pour évaluer l’ampleur et la nature d’abus et de fraudes présumés aux systèmes de soins réservés aux étrangers. Leur rapport a été rendu public mardi. Le gouvernement voulait en tirer les conséquences dès le projet de loi de finances (PLF) pour 2020. Or l’examen de la mission santé du PLF, dont ces ajustements relèvent, était programmé dès jeudi 7 novembre. Il fallait donc aller vite, mais sans prendre de risque politique.

Politique « d’ensemble »

En matière d’immigration, la majorité à l’Assemblée est tatillonne sur l’équilibre entre mesures répressives et d’ouverture. Isolée, la restriction de l’accès aux soins pour les étrangers aurait pu mal passer. Le premier ministre devait donc présenter un paquet global de mesures, mercredi. « Nous avons la volonté d’afficher une politique migratoire d’ensemble, et non pas focalisée sur telle ou telle mesure technique ou sectorielle », explique-t-on ainsi à Matignon, où l’on se targue de ne pas présenter une « addition de demi-mesures ». « Aucune mesure n’a vocation à être spectaculaire, mais la somme change assez spectaculairement l’approche de la politique migratoire », abondait mardi après-midi Gilles Le Gendre, patron du groupe La République en marche (LRM) à l’Assemblée nationale.

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Les « 20 décisions » mises en scène mercredi constituent toutefois un inventaire de mesures pour la plupart déjà annoncées, voire déjà en vigueur, mais qui permettent au gouvernement de montrer qu’il occupe ce terrain d’affrontement politique.

Depuis début septembre, l’exécutif et la majorité ne parlent plus d’une articulation entre « humanité » et « fermeté » en matière de politique migratoire comme en début de quinquennat, mais d’« humanité » et de « lutte contre la fraude ». Un nouveau diptyque au cœur des mesures que devait annoncer Edouard Philippe mercredi. L’exécutif estime qu’il existe un « tourisme médical » de la part de migrants attirés par la gratuité des soins en France.

Pour y remédier, il met en place deux mesures déjà dévoilées par Agnès Buzyn il y a quelques semaines. D’abord, les demandeurs d’asile devront désormais attendre trois mois avant d’avoir accès à la protection universelle maladie (PUMa) quand, aujourd’hui, ils y ont accès dès l’enregistrement de leur demande. A Matignon, on assume de chercher à « envoyer un signal pour rendre la démarche moins intéressante ». Les demandeurs d’asile continueront toutefois d’avoir accès, avant ce délai de trois mois, aux soins urgents. Un décret devrait aussi réduire la durée de maintien de la PUMa de douze à six mois pour les demandeurs d’asile déboutés.

Dans le même esprit, les étrangers sans-papiers peuvent aujourd’hui bénéficier de l’aide médicale d’Etat (AME) après trois mois de présence sur le territoire, accédant ainsi à un panier de soins réduit. Le gouvernement souhaite qu’un croisement des fichiers AME et de demandes de visa (Visabio) permette dès 2020 d’« éviter que des personnes n’entrent sur le territoire avec un visa afin d’obtenir l’AME immédiatement à son expiration ». De même, dans les neuf premiers mois où les personnes bénéficient de l’AME, un certain nombre de soins non urgents devraient être exclus de la prise en charge (prothèse de hanche ou de genou, cataracte…).

Trois nouveaux centres de rétention

Dans la même logique, le gouvernement veut empêcher par décret la perception rétroactive du revenu de solidarité active (RSA) pour d’anciens bénéficiaires de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) et rappelle les outils de lutte contre la fraude à la reconnaissance de paternité, dans le cadre de l’immigration familiale, adoptés dans la loi asile et immigration de septembre 2018, dite « loi Collomb ».

L’une des principales annonces que devait faire l’exécutif mercredi préfigure la construction, à partir de 2020, de trois nouveaux centres de rétention administrative avec de grandes capacités d’accueil : à Lyon et à Bordeaux (140 places chacun) ainsi qu’à Olivet, près d’Orléans (90 places). Ceux-ci doivent permettre d’améliorer le taux de reconduite aux frontières, l’un des principaux talons d’Achille de la politique migratoire française.

Pour contrebalancer cette logique de fermeture, le gouvernement prévoit la relance d’une politique d’immigration économique. « C’est un thème qui est monté en puissance avec le débat parlementaire », observe-t-on à Matignon, alors que la mesure était très largement poussée par la majorité. Mardi, Muriel Pénicaud, ministre du travail, a parlé de « quotas » ou d’« objectifs chiffrés » d’accueil de nouveaux arrivants dans des filières professionnelles en tension dont la liste, qui date de 2008, sera actualisée dès cet été. Anticipant les inquiétudes d’une partie de l’opinion et de la droite sur les conséquences pour l’emploi des ressortissants français, Mme Pénicaud a immédiatement assuré qu’elle n’attendait cependant « pas des grands changements sur les chiffres », c’est-à-dire sur le nombre de nouvelles arrivées par ce biais (environ 30 000 par an aujourd’hui, soit 13 % à peine des titres de séjour délivrés).

Exécutif et majorité mettent également l’accent sur la réduction du montant des taxes sur les titres de séjour, qui doit être entérinée dans le cadre du PLF 2020. Une série de mesures renvoie à la loi Collomb, comme la mise en place d’un fichier des mineurs isolés étrangers ou la possibilité de délivrer des obligations de quitter le territoire français (OQTF) dès le rejet en première instance des demandes d’asile des ressortissants des pays dits « sûrs ».

D’autres mesures déjà dévoilées – l’élévation du niveau de français exigé pour la naturalisation, le renforcement des effectifs de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l’ouverture d’un chantier de simplification des procédures contentieuses applicables aux étrangers – ou assez vagues – la lutte contre les campements de migrants – viennent s’ajouter au panel, renforçant l’impression d’un agrégat d’annonces parfois recyclées.

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Que ce soit au niveau européen ou mondial, l’exécutif se fixe des objectifs ambitieux pour des décisions qui, par nature, ne dépendent pas uniquement de lui. Si la France milite pour une refondation du système de Schengen, la convergence des systèmes d’asile ou le durcissement du règlement de Dublin, elle ne pourra pas réussir sans le soutien des autres pays de l’Union. Or, les dissensions entre Etats membres sont nombreuses sur le sujet, confinant à la paralysie. Laurent Nunez, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur, et Amélie de Montchalin, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, seront chargés de faire un tour des capitales européennes pour présenter des propositions.

De la même manière, Edouard Philippe devait réaffirmer son souhait de faire de l’aide publique au développement ou de la politique d’octroi de visas des leviers diplomatiques au service de la maîtrise des flux migratoires.

 

Par Manon Rescan et Julia Pascual, lemonde.fr

Le 6 novembre 2019