Depuis plusieurs mois, les difficultés pour accéder à des rendez-vous en préfecture pour demander un titre de séjour se sont accrues. Jeudi 28 janvier, une trentaine d’associations saisissent à nouveau les tribunaux en Île-de-France.

Depuis février 2020, Massandje, jeune fille de 18 ans en CAP « accueil » dans un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis, essaie d’obtenir un rendez-vous pour déposer sa demande de titre de séjour. Chaque jour, ou presque, elle se connecte sur le site de la préfecture, mais, depuis presque un an, aucun rendez-vous n’apparaît disponible. En théorie, pourtant, Massandjé, ne devrait avoir aucun souci pour être régularisée.

La jeune Ivoirienne a rejoint sa mère, qui vit légalement en France, quand elle était mineure et, dans son cas, la loi prévoit simplement qu’elle doit faire sa demande de titre de séjour avant son 19e anniversaire. L’échéance approche. « Elle s’inquiète énormément car si elle n’obtient pas ses papiers dans les temps, elle risque de se retrouver en situation irrégulière et cela va menacer la suite de sa scolarité », explique Jean-Michel Delarbre, militant du Réseau éducation sans frontières (RESF), qui suit son dossier.

Abdekhalek lui non plus ne pensait pas avoir autant de souci pour obtenir son titre de séjour. Ce Marocain, qui vit en France avec son épouse depuis 2015, et a trois enfants, dont deux scolarisés, devrait obtenir un titre de séjour « vie familiale et privée ». Mais il ne parvient pas à décrocher de rendez-vous à la préfecture des Hauts-de-Seine. En attendant ce titre, qui lui permettrait d’être embauché par la société de déménagement qui le lui a proposé, il ne parvient pas à se loger. Toute la famille vit en hôtel social, hébergé par le 115.

Une centaine de dossiers seront déposés en référé

Le cas de Massandjé fait partie de la grosse centaine de dossiers individuels qu’un collectif d’une trentaine d’associations (1), dont la Cimade, le Secours catholique, RESF et le Gisti, s’apprête à déposer en référé auprès des tribunaux administratifs des départements franciliens de Paris, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et du Val-d’Oise. Une démarche similaire devrait avoir lieu en Bretagne.

Le dossier d’Abdekhalek, lui, a été inclus dans une autre salve de contentieux, déposés le 10 décembre et qui a conduit la justice à enjoindre les préfectures à donner des rendez-vous à de nombreux requérants. Celle des Hauts-de-Seine a en outre été condamnée à rembourser 11 400 € de frais de justice.


Le choix de la dématérialisation des démarches

« C’est une première victoire et nous avons décidé de déposer des dossiers toutes les six semaines car de très nombreuses personnes sont bloquées à cause de l’impossibilité d’obtenir en ligne un rendez-vous avec leur préfecture, explique Clémence Lormier, chargée de projet migrants à la Cimade Ile-de-France. Dans certaines de nos permanences en région parisienne, une personne sur deux vient nous voir parce qu’elle connaît ce type de difficultés. »

Selon elle, ce problème est lié au choix des préfectures, amorcé en 2012 mais devenu massif depuis 2016, d’imposer la prise de rendez-vous en ligne. Ce choix pose d’abord le problème de des inégalités d’accès à Internet. En novembre 2019, le Conseil d’État avait d’ailleurs rappelé que les procédures dématérialisées ne pouvaient pas être la seule voie d’accès aux droits.

Mais la difficulté est aggravée par le fait que « pour les démarches concernant les étrangers, il n’y a pas assez de rendez-vous, ce qui fait que certaines personnes attendent des mois et parfois plus d’un an avoir de pouvoir ne serait-ce que déposer leur demande », reprend Clémence Lormier. La crise sanitaire a encore amplifié le problème, avec la fermeture des guichets pendant le premier confinement et la prolongation des titres décidée alors, qui gonfle le « stock » habituel des demandes.

 

Les premières demandes particulièrement concernées

Le phénomène, particulièrement important en Île-de-France, concerne tout le territoire. Pour l’évaluer, la Cimade a mis au point un robot chargé de tester les demandes de rendez-vous toutes les deux heures. Comme on peut le vérifier sur le site À guichets fermés, en janvier 2021, plus d’une préfecture sur deux ne dispose d’aucun rendez-vous pour au moins une démarche liée aux étrangers.

 

Les retards peuvent concerner à la fois les demandes de renouvellement de titre de séjour et les premières demandes. « Pour le renouvellement, il n’est pas rare d’obtenir un rendez-vous après l’expiration du titre de séjour, explique Lisa Caron, responsable du droit au séjour à la Cimade. Les personnes se retrouvent sans document en cas de contrôle de police. Cela peut aussi occasionner des ruptures de droit à la santé ou aux allocations. » Pour les premières demandes, « on connaît depuis le printemps une situation de blocage inédite ».

 

Au ministère de l’intérieur, on se dit « conscient de ces difficultés, plus ponctuelles que généralisées » : « Nous sommes préoccupés notamment par les situations de ruptures de droits, mais on n’est pas dans les grands nombres. » Une mission de suivi et d’appui a été créée pour aider les préfectures en difficulté.

 

la-croix.com
Le 29 janvier 2021

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