Une nouvelle vague d’interpellations intervenue mi-décembre a fait monter le nombre des détenus à plus de 400 personnes.

Deux mois après leur arrestation – qualifiée « d’arbitraire » par des défenseurs des droits humains – en marge des manifestations contestant, sur le fond et la forme, la victoire d’Alpha Condé à la présidentielle du 18 octobre, plusieurs centaines de personnes dont quelques personnalités de l’opposition et des dizaines de Guinéens mineurs croupissent toujours en prison. Vendredi 8 janvier, ils attendaient toujours d’être entendus par un juge.

La réélection d’Alpha Condé pour un troisième mandat, rendue possible par l’adoption à la hussarde d’une nouvelle Constitution, est intervenue au terme d’un processus long de plusieurs mois marqué par des éclats de violences meurtrières.

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« Depuis le début de la contestation, en octobre 2019, la stratégie d’intimidation du pouvoir n’a cessé de se radicaliser », dénonce Abdourahmane Sanoh, coordinateur national du Front national de défense de la Constitution (FNDC), large mouvement réunissant partis d’opposition, syndicats et mouvements de la société civile opposés au troisième mandat.

« Depuis l’élection, les forces de l’ordre ont fait un usage excessif de la force, tuant par balles plus d’une dizaine de personnes et arrêtant des centaines d’autres lors de manifestations ou d’opérations de police dans des quartiers perçus comme favorables à l’opposition », dénonce ainsi Amnesty International. « Rien n’est fait pour lutter contre la culture de la répression politique qui existe en Guinée », s’inquiète Kiné-Fatim Diop, chargée de campagne pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty.

Plusieurs hauts responsables politiques

Le président de la cour d’appel de Conakry a ainsi reconnu, le 31 octobre, que 325 personnes ont été interpellées dans le cadre des violences post-électorales. Elles seraient aujourd’hui plus de 400, compte tenu d’une nouvelle vague d’arrestations intervenue mi-décembre.

Parmi les détenus figurent plusieurs hauts responsables politiques de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) : Ibrahima Chérif Bah, vice-président de ce principal parti d’opposition ; Ousmane « Gaoual » Diallo, ancien député et ex-porte-parole du candidat UFDG à la présidentielle ; Abdoulaye Bah, ancien maire de Kindia à Conakry, et Mamadou Cellou Baldé, coordinateur des fédérations de l’intérieur.

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On note aussi à leurs côtés la présence d’Etienne Soropogui, président du mouvement Nos Valeurs communes. « Toutes sont inculpées pour détention et fabrication d’armes légères, association de malfaiteurs, trouble à l’ordre public, pillage et destruction, participation à un attroupement, propos incitant à la violence », précise Modibo Camara, membre du collectif des avocats mobilisé par l’UFDG.

« Elles rejettent ce qui leur est reproché. On les accuse de détention et de fabrication d’armes alors qu’il n’y a eu aucune perquisition. Il y a tellement d’incohérences qu’on ne peut imaginer que la relaxe », espère Me Camara.

« Des conditions de détention exécrables »

Les prévenus – personnalités comme anonymes – sont détenus à la maison centrale de Conakry dans « des conditions exécrables, au milieu des condamnés de droit commun, alors qu’eux sont clairement des prisonniers politiques », dénonce l’avocat. « Mon mari dénonçait les malversations du pouvoir, c’est la raison pour laquelle on veut le faire taire », plaide l’épouse d’Ousmane « Gaoual » Diallo.

Dans une lettre adressée le 30 décembre au pool des juges en charge de la procédure, les avocats s’inquiètent que « le dossier n’a connu aucune évolution (…), que toutes les démarches sont demeurées sans effet ». Le président de ce pool au tribunal de Kaloum, Mohamed Bama Camara, a justifié cette inaction auprès de ces avocats par « le manque de local, de greffiers, d’ordinateurs et de fournitures… » pour traiter les centaines de dossiers joints dans la même affaire. Il devait, ce vendredi, se rendre à la maison centrale pour une simple « visite de prise de contact » avec les prévenus. Sollicité à plusieurs reprises, le cabinet du ministre de la justice n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

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Le coordinateur du FNDC, Abdourahmane Sanoh, y voit quant à lui une attitude délibérée pour « faire traîner les dossiers, faire peur et maintenir la pression sur l’opposition ». Il en veut pour preuve l’emprisonnement d’Oumar Sylla, alias « Foniké Mengué », détenu sans procès depuis le mois de septembre. Ce responsable de la mobilisation au FNDC, poursuivi pour « attroupement illégal sur la voie publique », a entamé avant Noël une grève de la faim pour protester contre sa détention et exiger un procès. En vain, jusqu’à présent.

Lemonde.fr,Par Christophe Châtelot

 

Le 8 janvier 2021

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