Le milliardaire franco-israélien et deux autres protagonistes, accusés d’avoir versé des pots-de-vin aux dignitaires en place à Conakry afin de décrocher des contrats d’exploitation minière, comparaissent dès lundi devant le Tribunal correctionnel. Tout est contesté et la dispute programmée.

Les collines de Simandou. L’évocation de cette région montagneuse et verdoyante de la Guinée n’a plus grand-chose de poétique. Ses gisements de fer tant convoités seront au cœur du procès qui doit s’ouvrir le 11 janvier devant le Tribunal correctionnel de Genève. Sur des bancs séparés pour cause de pandémie prendront place trois prévenus, dont un très gros poisson. Beny Steinmetz, milliardaire franco-israélien de 64 ans, établi un temps sur les bords du Léman, est accusé d’avoir versé quelque 10 millions de dollars de pots-de-vin à la jeune épouse du président de l’époque, feu Lansana Conté, pour chasser un concurrent et faire main basse sur les licences de prospection et d’exploitation minières. Les débats promettent de belles empoignades. La défense conteste tout et surtout la manière avec laquelle cette longue enquête a été menée.

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Si le coronavirus épargne les acteurs indispensables à l’audience, rendez-vous est pris lundi dans la grande salle du Palais de justice, aménagée en fonction des prescriptions sanitaires. Cela n’empêchera pas la température de monter très vite dans ce dossier emblématique, disputé et particulièrement volumineux. La procédure, qui a débuté en 2013, compte pas moins de 250 classeurs fédéraux de pièces. Aux côtés du magnat du diamant, déjà vacciné en Israël et annoncé bien présent par Me Marc Bonnant, son avocat, deux quinquagénaires moins célèbres doivent aussi répondre de corruption d’agents publics étrangers et de faux dans les titres. Une Belge, Sandra M., la directrice d’une myriade de sociétés impliquées dans le projet minier, défendue par Me Corinne Corminboeuf Harari, et un Français, François C., l’homme de terrain et de réseaux africains, représenté par Me Jean-Marc Carnicé. Tous plaident leur acquittement.
Des flèches en guise d’entrée
La première matinée est réservée à une déferlante de questions préjudicielles. L’occasion pour la défense de planter un décor qualifié de trouble et de dire tout le mal qu’elle pense des méthodes volontaristes du procureur Claudio Mascotto (désormais juge à la Chambre administrative) et de certains de ses voyages non protocolés et non détaillés, au motif que ceux-ci visaient uniquement à coordonner et faire avancer l’entraide judiciaire dans un dossier occupant des enquêteurs sur quatre continents. Le magistrat aurait pu user d’une suppléance pour requérir au procès, mais il a finalement renoncé à l’exercice. Un tandem, formé du premier procureur Yves Bertossa et de la procureure Caroline Babel Casutt, hérite de la patate chaude.
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Au grand dam de Me Bonnant qui dénonce un repli stratégique visant «à se soustraire à toute explication» sur la nature des échanges informels ayant potentiellement affecté la validité de certaines preuves. L’avocat a donc demandé que Claudio Mascotto soit entendu au procès et a essuyé un premier refus de la présidente Alexandra Banna, qui n’y voit aucune utilité. Le sujet sera remis sur le tapis en début d’audience. Dans la ligne de mire de la défense, il y a notamment les circonstances qui ont amené Ofer Kerzner – homme d’affaires, consul honoraire d’Ukraine à Jérusalem et distingué à Kiev en 2016 pour ses investissements par temps de crise – à devenir un témoin clé de ce dossier sans pour autant être inquiété. En substance, ce dernier a expliqué avoir signé moult documents ou contrats pour rendre service à son ami Beny, brouiller les pistes et endormir la méfiance des banquiers.

La probable grande absente

Parmi la dizaine de personnes convoquées le mercredi 13 janvier, figure Mamadie Touré, dont la venue reste très improbable, et qui n’a jamais été entendue en présence des prévenus. Celle qui fut Miss Guinée avant de devenir la quatrième épouse du président Conté (ou seulement sa maîtresse selon une vision plus édulcorée) aurait reçu environ 2 millions de dollars en cash, selon ses propres déclarations, et environ 8,5 autres millions sur ses comptes à Conakry et à Miami, contre la promesse (tenue par le chef d’Etat peu avant de mourir fin 2008) d’octroyer à Beny Steinmetz Group Resources (BSGR) les droits miniers sur des secteurs de Simandou, tout en éjectant le géant anglo-australien Rio Tinto de la place.
Les 15 premières pages de l’acte d’accusation, consacrées aux faits reprochés à Beny Steinmetz, détaillent les montages complexes mis en place dès 2005 pour acheminer ces fonds par des chemins tortueux et justifier des versements sous des prétextes qualifiés de fallacieux. Fournitures d’engins de chantier, livraison de sucre, location de yacht et autres services de consulting. Cette description fait aussi de Mamadie Touré la bénéficiaire principale du «pacte de corruption» passé en Guinée.
Rattrapée par la justice américaine alors qu’elle s’était réfugiée en Floride, l’ex-première dame a passé un accord qui lui a permis d’éviter la prison, mais pas la confiscation de ses biens. Elle a aussi coopéré avec le FBI en permettant l’arrestation sur place de François C., l’un des trois prévenus de Genève, et sa condamnation en 2014 à une peine ferme de 2 ans pour obstruction à l’enquête. Piégé par un enregistrement où il presse Mamadie Touré de détruire des preuves (notamment des contrats assurant à celle-ci des success fees) et de mentir, il a plaidé coupable.
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Contexte tentaculaire
Rien de tel ici où le Français demandera son acquittement. «Mon client n’a corrompu personne et tous les versements effectués seront expliqués au tribunal», précise Me Carnicé. Même son de cloche du côté de Me Corminboeuf Harari, qui ne souhaite pas s’exprimer davantage. Plus disert, Me Bonnant ne voit rien qui puisse être retenu contre son client: «Beny Steintmetz n’est pas le patron de BSGR, mais le bénéficiaire d’une fondation. Il n’a jamais versé un centime de pot-de-vin à Mamadie Touré, ni n’a donné instruction de le faire. Cette dame n’était pas la femme du président, ni un agent public ayant une quelconque influence sur le secteur minier. Les faux ne sont pas des faux car ce ne sont pas des titres. Et le pacte de corruption, pour autant qu’il existe, a été conclu en Guinée où un jugement d’acquittement a été rendu.»
Les enjeux politiques et commerciaux ayant rattrapé le rythme de la justice, la République de Guinée, partie plaignante, s’est retirée de la procédure genevoise après avoir négocié un accord global mettant fin aux poursuites et aux arbitrages. Le président Alpha Condé, qui vient de modifier la Constitution pour pouvoir entamer un troisième mandat de cinq ans à la tête d’un Etat parmi les plus pauvres du monde, s’est visiblement rabiboché avec Beny Steinmetz, sans aller toutefois jusqu’à restituer à BSGR ses droits sur Simandou, mais en ouvrant la voie à d’autres juteux contrats.
L’affaire et son contexte tentaculaire auront de quoi occuper les juges genevois une bonne semaine, voire même plus. Le verdict est programmé pour le 22 janvier. Si tout va bien.

letemps.ch
Le 8 janvier 2021

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