En Guinée plus deux semaines après le scrutin, on ne connaît toujours pas les résultats définitifs complets des élections communales du 4 février dernier. Marqué par l’abstention, les irrégularités et des violences post-électorales, ce vote tant attendu a déçu beaucoup d’espoirs.
Treize ans que les Guinéens n’avaient pas trempé leur doigt dans l’encre pour élire leurs maires. L’enjeu était d’importance : donner une nouvelle légitimité à des représentants locaux « périmés » depuis des années ou nommés à la suite d’arrangements politiques, regagner la confiance des investisseurs et relancer le processus de décentralisation. Néanmoins le scrutin du 4 février n’a pas déplacé les foules. Après une morne campagne, l’abstention devrait avoisiner les 60%, hormis dans quelques communes où l’on observe des singularités comme des taux de participation à 96% ou 1% de bulletins nuls.

« D’abord le fichier électoral n’a pas été révisé, avance le juriste et consultant Mady Camara. Ensuite, les citoyens semblent déçus par les partis traditionnels mais n’ont pas pour autant choisi le saut vers l’inconnu que représentaient les candidats indépendants. »

« Présidentialisation du scrutin »

« Le RPG (parti au pouvoir) voulait justifier sa présence dans toutes les communes et renforcer son maillage territorial, analyse un diplomate, car les chefs de quartier (nommés au prorata des résultats du scrutin) ont un pouvoir considérable en termes d’influence sur la population. » « Finalement tout le monde est déçu, juge Mady Camara, puisque ni l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée, principal parti d’opposition) ni le RPG n’a atteint les scores attendus. »

Sékou Koureissy Condé, de l’African Crisis Group enfonce le clou : « La classe politique a donné une allure de présidentielle à ce scrutin local. On a vu les ministres et les chefs de parti battre campagne, ce qui a suscité l’incompréhension des électeurs et exacerbé les tensions ». En effet, le jour du vote, de nombreux électeurs interrogés par RFI croyaient se rendre aux urnes pour « changer le président ».

« Les tensions étaient déjà là et il ne manquait plus que des irrégularités pour déclencher les violences, poursuit Sékou Koureissy Condé. Les irrégularités ont instillé le doute dans les esprits et les gens n’ont donc pas attendu les résultats finaux pour sortir dans la rue. »

« Difficultés d’organisation »

Près de 6 millions d’électeurs, environ 30 000 candidats et 342 bulletins différents répartis dans plus de 15 000 bureaux de vote : le défi logistique était considérable. « Nous sommes la première CENI à tenir des élections dans les délais prévus, se félicite Etienne Soropogui, commissaire chargé des opérations. Nous avons redessiné la carte des bureaux de vote en un temps record, quant au matériel, il a été commandé, reçu et installé sans délai. »

A Conakry néanmoins, la lenteur du processus exaspère : « Qu’ils donnent les résultats une fois pour toutes et qu’on en finisse ! », s’insurge une mère de famille en assurant d’une main experte la rotation de ses brochettes de volaille au-dessus de charbons incandescents.

« A l’impossible nul n’est tenu », avait prévenu Etienne Soropogui, l’avant-veille du scrutin. La Commission électorale avait suggéré un traitement informatisé des résultats mais la proposition a provoqué une levée de boucliers chez les partis politiques. « On a dû revenir à l’âge de la pierre taillée, déplore Me Salif Kébé, le président de la CENI. Les opérations de décompte, de centralisation se sont faites à la main ! »

Irrégularités

Plus acerbe, une source diplomatique évoque un scrutin marqué par des « faiblesses d’organisation, l’absence de procédures juridiques claires et un net recul par rapport à la présidentielle de 2015 ». Vote par procuration, distribution des cartes d’électeur… la CENI à fait plusieurs mises au point sur les imprécisions du code électoral. Le jour J, on notait quelques retards à l’ouverture, du matériel et des procès-verbaux en quantité insuffisante ou un accès parfois restreint aux salles de dépouillement mais c’est à la nuit tombée, lors des opérations de centralisation, que se sont produits les incidents les plus graves.

A Conakry, plusieurs urnes ont été transportées par l’USSEL (Unité Spéciale de Sécurisation des Elections Locales), sans que les observateurs puissent monter à bord des véhicules. « Dès lors que la chaîne de surveillance des urnes a été rompue, on ne peut plus parler d’élection transparente », tranche l’une de nos sources.

A Kaloum devant les grilles de la mairie, les services de sécurité en sont venus aux mains avec les agents électoraux provoquant plusieurs mouvements de foule. Dans la cour, les urnes, dont certaines grandes ouvertes, étaient entassées de manière chaotique. RFI a pu constater que des personnes non identifiées manipulaient le contenu de certaines, comme le confirment ces images. La scène filmée à Matam par Evasion TV témoigne d’incidents plus violents.

Sur ce montage photo, on distingue la manipulation de bulletins dans des urnes ouvertes.
© Montage photo / DR
Contentieux électoraux

« Toutes nos plaintes pour fraude ont été rejetées par les tribunaux», s’indignait jeudi dernier 15 février le président de l’UFDG, Cellou Dalein Diallo. En effet, sur la vingtaine de décisions de justice consultées par RFI, seul un recours a pu aboutir… en faveur du RPG. Quatre d’entre eux ont été déposés hors délais, deux ont été jugés non-recevables et tous les autres non-fondés.

En l’absence de procédure établie par des documents à valeur réglementaire, les juges ont parfois tranché de manière contradictoire selon les localités. Ainsi à Boké, le magistrat n’a pas pris en compte la limite de cinq procurations par bureau édictée par la CENI la veille du scrutin.

Par ailleurs, le code électoral stipulait qu‘un procès-verbal devait être remis à chaque délégué de parti. Par manque de documents, la CENI leur a substitué des « fiches de résultats » qui n’ont pas été considérées comme des preuves suffisantes par la justice dans la commune de Mamou notamment. « Les magistrats ne peuvent se baser que sur les textes de loi, explique le juriste Mady Camara, et la loi ne reconnaît que les PV. » « Il était trop tard pour faire autrement, concède Etienne Soropogui. Le code électoral contient des imperfections qui devront être corrigées par le législateur. »

Plus étonnant, pour la commune de Mafara il y a deux décisions successives sur le même contentieux conduisant la CENI à proclamer tour à tour deux résultats différents, tous deux consultables lundi 20 février au soir sur le site de la CENI. Selon le premier, l’UFDG a encore la majorité malgré l’annulation d’un bureau de vote. D’après le second, l’annulation d’un nouveau bureau de vote fait basculer la balance en faveur du RPG après la décision rectificative du juge.

Le RPG remporte finalement la majorité mais l’opposition réplique en attaquant la CENI devant le TPI de Dixxin lundi soir.

PV perdus ou annulés

Outre les PV annulés, entre 300 et 400 ne sont pas parvenus à destination pour la seule ville de Conakry, affirme une source proche de la CENI selon qui le phénomène pourrait concerner 15 à 20% des votes au niveau national. Des chiffres « irréalistes » selon Etienne Soropogui, ajoutant que « beaucoup de PV perdus ont ensuite été retrouvés ». A Ratoma (banlieue de Conakry), environ un cinquième des PV ont disparu ou ont été écartés par la justice. Dans ce fief de l’opposition, son chef de file Cellou Dalein Diallo refuse de croire à un hasard.

D’ici deux semaines, les chefs de quartier et de district doivent être nommés. De quelle légitimité pourront-ils se prévaloir dans ces localités ? Et que penser du district de Tangan à Dubreka où le PV de l’unique bureau de vote n’est jamais arrivé à destination ? « Pour l’instant nous n’avons pas de solution », admet Etienne Soropogui. « C’est une véritable bombe à retardement, prédit un diplomate, si les habitants voient que les résultats de leur bureau n’ont pas été pris en compte, ils n’accepteront jamais les nouveaux chefs de quartier et de nouvelles violences risquent d’éclater. »

Violences post-électorales

Dix jours après le vote, neuf personnes avaient perdu la vie lors d’affrontements avec la police ou entre militants, provoquant la colère du ministre de l’Unité nationale et de la citoyenneté Gassama Diaby qui a promis justice aux familles des victimes.

 

Dans les chancelleries comme à la CENI, ce scrutin était perçu comme une opportunité de changer l’image de la Guinée à l’international. Aujourd’hui, l’espoir a laissé place à la colère et à la déception. « J’en garde un sentiment d’amertume, confie Etienne Soropogui. Les violences et la contestation des résultats montrent que l’objectif n’a pas été atteint ». « Cela ne laisse rien présager de bon pour les législatives ni pour la présidentielle à venir », déplore une source diplomatique. Et Sékou Koureissy Condé de conclure : « C’était un grand rendez-vous pour la Guinée, qu’on attendait depuis treize ans. Mais le rendez-vous a été manqué. »

Pour suivre l’auteur de cet article sur Twitter : @carolvalade
Le 20 février 2018

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