Alpha Condé va-t-il faire changer la Constitution de la Guinée afin de pouvoir briguer un 3e mandat en 2020 ? Le ministre d’État Rachid Ndiaye, qui est son conseiller spécial, ne dément pas. Il affirme même que le processus doit être bouclé cette année.

RFI : Le 3 avril, l’opposition, les syndicats et la société civile de Guinée ont créé le Front national pour la défense de la Constitution. Quelle est votre réaction ?

Rachid Ndiaye : Il y a un débat dans le pays, un débat autour de la nécessité de doter la Guinée d’une nouvelle Constitution pour moderniser les institutions. Et dans cet espace démocratique, je crois que chacun est dans son droit dans cette affaire parce que ce front, qui est beaucoup plus axé sur des revendications partisanes, aussi s’exprime. Le plus important, c’est que le peuple puisse donner son point de vue sur la question.

La grande crainte de ce front, c’est que le président Alpha Condé n’en profite pour briguer un troisième mandat en 2020. Est-ce que c’est en effet son objectif ?

Non. La question d’une nouvelle Constitution ne se résume pas strictement à la personne du président ou à la volonté du président d’être candidat ou pas. Le débat n’a pas commencé sur le contenu et l’État lui-même, comme vous avez pu le constater, ne s’est pas exprimé formellement sur cette question, laissant le débat se dérouler.

Et quand le président Alpha Condé dit : « Personne ne m’empêchera d’aller devant le peuple pour lui demander ce qu’il veut faire ». Est-ce le signe que ça y est, il est déterminé à consulter le peuple par référendum pour introduire une nouvelle Constitution ?

Mais je crois que les voies, en tout cas sur le plan légal, sont tout à fait indiquées pour l’adoption d’un référendum. L’initiative du référendum appartient concurremment aux députés et au président de la République. Ce que le président a voulu simplement dire, c’est qu’on ne peut pas parler au nom du peuple sans demander son sentiment au peuple.

Pour aller vers ce référendum, il faut d’abord passer par le dépôt d’un projet de loi à l’Assemblée nationale. Quand aura-t-il lieu ?

Vous avez pu observer que, pour l’instant, le mandat de l’Assemblée nationale est arrivé à expiration, qu’il faut donc de nouvelles élections législatives.

Alors si je vous comprends bien, on fait d’abord les législatives et ensuite le référendum ?

Comme vous me parlez de projet de loi, je dis l’option peut-être la plus plausible, c’est que le pays va renouveler son Assemblée nationale, et que, dans cette Assemblée nationale, une majorité peut être porteuse d’un projet qui peut être soumis ou à l’Assemblée ou à la volonté populaire.

Vu la saison des pluies qui démarre, il n’y aura pas de législatives avant octobre, novembre 2019. Est-ce que cela veut dire que le référendum éventuel, ce ne serait pas avant décembre 2019, voire janvier-février 2020 ?

Je crois que, dans cette affaire, chacun doit faire son travail. La Céni [Commission électorale nationale indépendante] doit faire son travail en proposant un chronogramme, le président doit valider le chronogramme pour la date de scrutin. Maintenant, toutes les considérations techniques que vous évoquez sont réelles. C’est vrai qu’il y a une période où c’est difficile d’organiser les élections. Mais le plus important, c’est que le processus soit bouclé cette année. Parce que là, pour l’instant, on ne parle même pas de contenu parce que le débat est un peu squeezé par le fait qu’on a réduit la question de la nouvelle Constitution à la question de savoir si le président se représente ou pas, ça, c’est assez réducteur, mais il y a quand même beaucoup d’éléments importants aujourd’hui qui méritent d’être mis en avant dans cette Constitution.

Mais de facto, s’il y a une nouvelle Constitution, si on remet les compteurs à zéro, Alpha Condé pourra se représenter ?

La Côte d’Ivoire s’est dotée d’une nouvelle Constitution. On ne pose pas la question aujourd’hui au président ivoirien de savoir s’il va être candidat ou pas. Encore une fois, si on dépasse la question du seul président, c’est la volonté du peuple qui prime sur le reste.

Donc on est un peu dans le scénario Côte d’Ivoire de ces dernières années et Togo des années à venir ? Visiblement, c’est l’objectif apparemment partagé par Faure Gnassingbé, c’est-à-dire qu’on introduit une nouvelle Constitution pour remettre les compteurs à zéro et pour permettre au président sortant de repartir pour un nouveau mandat, voire deux nouveaux mandats ?

Comparaison n’est pas raison. Je crois aujourd’hui que le plus important, c’est une loi fondamentale qui puisse prendre en compte de nouvelles aspirations. Je pense notamment à toutes ces mesures concernant la décentralisation, l’organisation du pouvoir, la protection des femmes et des enfants, la représentation de la diaspora, la lutte contre les mutilations génitales féminines. Et cela me paraît beaucoup plus important.

Selon le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), la modification de la Constitution, qui tendrait à augmenter le nombre de mandats, est « sanctuarisée » dans la Constitution actuelle. Est-ce que votre projet de réforme ne risque pas d’être hors-la-loi ?

Non, pas du tout. Les Constitutions ne sont pas figées. Une nouvelle Constitution est une nouvelle Constitution.

Sidya Touré, de l'Union des forces républicaines (UFR), la deuxième force de l'opposition à l'Assemblée nationale, disait à notre micro hier : « 10 ans, ça suffit… Une seule personne ne peut pas confisquer l’avenir de 12 millions de Guinéens »…

Le plus important, c’est de savoir ce que veut le peuple. Est-ce que le peuple est désireux d’orienter la Guinée vers une nouvelle Constitution ? Est-ce que le peuple est désireux de maintenir ses dirigeants ou pas ? Mais cela, c’est la volonté populaire qui va trancher.

Depuis 9 ans, depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir, l’opposition dit qu’il n’y a pas une seule ville de Guinée où il y a une fourniture d’électricité, ne serait-ce que 12 heures par jour, et que le bilan d’Alpha Condé est très mauvais ?

Non, cela est inexact. Parce que, si vous regardez uniquement le secteur de l’énergie, le potentiel énergique s’est multiplié par trois. Quand le président Alpha Condé arrive au pouvoir en 2010, la capacité énergétique dépasse à peine 100 mégawatts. Alors que quand même, concrètement, depuis on a construit le barrage de Kaléta qui a plus de 240 mégawatts, on a lancé le barrage de Souapiti qui est de 450 mégawatts, et également on a posé la première pierre du barrage d’Amaria. C’est l’infiniment petit et l’infiniment grand. Naturellement, il y a beaucoup de défis que le pays doit surmonter et, naturellement, personne ne pense du côté du président de la République et du gouvernement que tous les problèmes ont été réglés en 8-9 ans. N’oubliez pas quand même que le processus démocratique ne démarre qu’en 2010.

Et c’est pour cela qu’Alpha Condé veut faire cinq ans de plus ?

À une occasion, la question lui sera posée. Mais le plus important aujourd’hui, c’est beaucoup plus de parler des sujets vitaux pour le pays que des intérêts personnels des uns et des autres. Ce n’est pas du même ressort.

Mais il y a un sentiment d’inachevé chez Alpha Condé ?

Je vous suggère de lire son dernier livre d’entretien [Alpha Condé « Une certaine idée de la Guinée-Entretien avec François Soudan » aux Éditions Favre-La Revue] qui vient de paraître. Je crois que c’est un homme qui veut s’inscrire dans l’histoire, c’est un homme qui veut laisser des traces importantes. Le pouvoir, c’est le temps et la durée.

L’opposition souligne le fait qu’en 9 ans, depuis que le président Alpha Condé est au pouvoir, pas une seule nouvelle université, pas un seul nouvel hôpital n’a été construit…

Si vous regardez Conakry ou si vous regardez la Guinée, il n’y a presque pas une sous-préfecture aujourd’hui où un centre de santé n’a pas été créé. Que ces contradicteurs estiment que tous les problèmes n’ont pas été réglés en 9-10 ans, on peut l’admettre. Mais on ne peut pas dire que des efforts n’ont pas été faits.

En Afrique de l’Ouest, prenons par exemple deux camarades socialistes d’Alpha Condé, le Malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et le Nigérien Mahamadou Issoufou. Tous deux annoncent qu’ils partiront à la fin de leur deuxième mandat…

C’est un choix qui a été fait par ces deux chefs d’État et les réalités ne sont pas les mêmes. Peut-être que, dans ces deux pays, il n’y a pas une réalité interne en faveur d’autres solutions comme on peut le constater aujourd’hui en Guinée. Tout dépendra de ce que décidera la majorité de la population. Le plus important, c’est ce que veut le peuple. Et les situations diffèrent de pays en pays. Il n’y a pas de règle intangible. C’est du cas par cas.

Vous dites qu’il y a une totale liberté en Guinée, mais il y a tout de même eu des arrestations parmi les anti-troisième mandat. Et Sidya Touré vous fait cette réflexion : « Vous ne pouvez pas organiser dans les quartiers des mouvements pro-troisième mandat et arrêter ceux qui manifestent contre le troisième mandat »…

Non, je crois que ça, c’est la question qui relève du maintien de l’ordre public. Dans tous les pays, il y a des règles, vous avez vu à Paris également, il y a près de 2 000 interpellations.

Vous comparez avec la répression des « gilets jaunes » en France. La grande différence, c’est qu’en Guinée, il y a des gens qui sont tués par balles parce que la police tire à balles réelles. Plus de 100 morts depuis 9 ans.

Il y a beaucoup d’actions qui sont en justice, actions dans lesquelles il y a à la fois les pertes de vies humaines aussi bien du côté des manifestants, que du côté des forces de l’ordre. Je crois que, sur cette question-là, il y a des commissions d’enquête, il y a des poursuites judiciaires à ce niveau. Je vous fais remarquer qu’il y a des policiers qui ont été arrêtés pour s’être mal comportés durant des manifestations.

 

Par Christophe Boisbouvier, RFI
Le 25 avril 2019

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