« La construction d’un port en eau profonde et d’une voie de chemin de fer représentent 70 % de l’investissement nécessaire pour mener un projet en Guinée », précise ainsi le président de la Chambre des mines de Guinée et directeur général adjoint de Guinea Alumina Corporation (GAC), Malick N’Diaye. Sa société a donc dû construire son propre terminal pour évacuer la bauxite dans la région de Boké (nord-ouest), tout comme  la Compagnie de bauxite de Guinée (CBG), tandis que la Société minière de Boké (SMB) en possède deux.

« Sans ces coûts supplémentaires, l’attractivité du pays augmenterait automatiquement, il deviendrait notamment accessible aux juniors », a poursuivi Malick N’Diaye, lors du 6e Symposium sur les mines en Guinée, qui a lieu du 24 au 26 avril à l’hôtel Sheraton grand de Conakry.

État et investisseurs « dans le même bateau »

De leur côté, les autorités guinéennes estiment que les infrastructures construites par les miniers devraient pouvoir être utilisées à des fins commerciales. Le président guinéen Alpha Condé a ainsi demandé et obtenu notamment de la SMB que les navires transportant de la bauxite en Chine ramènent des marchandises lors de leur trajet retour. Les terminaux de la société situés à Dapilon et à Katougouma ont été reconnus par l’Organisation maritime internationale (OMI).


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L’État souhaite également créer une Zone économique spéciale (ZES) dans la région de Boké, où la société GAC dispose également un terminal commercial.

« Une société minière n’a pas vocation à fournir de l’électricité. Or, du point de vue des infrastructures, le secteur minier est en avance sur la Guinée. Cela n’est pas très bon signe pour le développement du pays, qui doit diversifier son économie », proteste Malick N’Diaye.

« Certes, la priorité d’une société minière est l’exploitation, a reconnu le ministre des Mines, Abdoulaye Magassouba. Mais il faut avoir à l’esprit, et c’est l’appel que nous avons lancé, que lorsque nous nous installons durablement dans un pays, on ne peut pas se considérer exclusivement comme un acteur commercial. On devient un partenaire de développement. On ne peut pas évoluer dans un environnement sans prendre en compte les contraintes légitimes. Nous devons travailler ensemble dans le respect du rôle de chacun : eux en ayant le profit, nous pour assurer le développement et l’amélioration des conditions de vie de nos populations. Nous sommes dans le même bateau et devons le faire avancer dans la bonne direction ».

Mutualiser les forces

D’un autre côté, les infrastructures publiques sont sources de revenus pour l’État qui perçoit des redevances sur leur utilisation par les sociétés minières. La voie ferrée de 135 km reliant le plateau bauxitique de Sangarédi au port minéralier de Kamsar (toujours dans la région de Boké), dont l’Agence nationale d’aménagement des infrastructures minières (ANAIM) assure la gestion, en est l’illustration.

L’État guinéen a invité en 2015 les miniers Rusal, GAC et la CBG à mutualiser leurs moyens pour la moderniser en vue d’un usage commun. « Tout en étant concurrents, on peut travailler ensemble, remarque Malick N’Diaye. La Compagnie de bauxite de Dian-Dian, détenue par Rusal, a ainsi commencé l’année dernière à l’utiliser pour exporter sa bauxite et depuis cette année GAC s’en sert aussi. »

Souleymane Traoré, directeur général de la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), renchérit : « Si chaque nouvel entrant devait construire son chemin de fer, cela aurait rendu les projets moins rentables. La proposition de l’État a été une idée innovante que la CBG, utilisateur historique de l’infrastructure, a bien voulu accepter ».

Partager les responsabilités

Ce qui n’était pas gagné d’avance. « Il était normal que l’utilisateur historique s’entoure des garanties pour s’assurer que ce partage d’usage n’impacte pas ses opérations », réagit Souleymane Traoré.

Marie Guis, avocate au barreau de Paris et spécialiste en développement de projet mines/infrastructures en Afrique chez Lincoln Legal Services, précise : « Notre rôle est de faire l’encadrement juridique, d’accompagner la répartition des responsabilités entre des acteurs aux intérêts potentiellement divergents. Il faut que le droit sache rester humble : c’est au gouvernement et aux miniers de donner le schéma directeur, et il est encore trop tôt pour dire quelle place sera donnée à l’adaptation des pouvoirs publics et à la régulation ».

Par Diawo Barry - à Conakry, jeune Afrique
Le 5 mai 2019

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