Le président déchu, retenu prisonnier à Conakry, s’obstine à croire à son retour au pouvoir.  La Cédéao appelle à de nouvelles élections.

S’il en est un qui ne semble pas prendre le coup d’Etat militaire en Guinée pour un fait acquis, c’est le principal intéressé, Alpha Condé, déposé dimanche 5 septembre par le Groupement des forces spéciales (GFS), qu’il avait lui-même créé en 2018. Les témoignages des quelques personnes qui ont pu le rencontrer décrivent un chef de l’Etat déconnecté de la réalité, dans le déni d’un rapport de force qui lui est défavorable et qui croit en son retour aux affaires. D’autres retrouvent un battant qui s’arc-boute sur la seule ligne qu’il pense gagnante, celle du président élu, légitime. Mais, dans tous les cas, le président déchu s’oppose à une chose : « Donner la satisfaction aux auteurs du putsch de les reconnaître et de démissionner », rapporte l’un de ses proches.

Une douzaine de jours après avoir été délogé du palais présidentiel, armes à la main, Alpha Condé est sans domicile fixe. Dans les premières heures, il fut tout d’abord emmené sous lourde escorte à bord d’un véhicule blindé du GFS dans une suite d’un grand hôtel de la ville. Hôtel, dont, ironie de l’histoire, son fils, soupçonné d’avoir grandement profité de la situation du père, est actionnaire. Quatre jours plus tard, on le retrouvait dans un « espace réduit » du quartier général des forces spéciales.

C’est là que la délégation des ministres des affaires étrangères de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) l’a rencontré, le 10 septembre, pour s’assurer de sa bonne santé. « Il est logé avec son cuisinier et son médecin. Les militaires disent : “c’est notre papa, on ne peut pas lui faire du mal” », rapporte l’un de ses visiteurs.

« Un programme à terminer »

Les mêmes personnes sont toujours autour de lui dans sa troisième « résidence ». Car l’ancien président a de nouveau été changé d’adresse, direction le palais Mohammed-V, situé dans le quartier de Kaloum, la pointe de la presqu’île sur laquelle repose la capitale, Conakry. « Il est très bien traité, concède un de ses anciens conseillers, respecté par ses gardes, la question n’est pas là. Le problème est qu’il est retenu prisonnier. »

Lors de leur première visite, les ministres de la Cédéao avaient demandé sa libération. La réponse du Comité national pour le redressement et le développement (CNRD, la junte militaire) « n’avait pas été très claire », nous explique-t-on. Alpha Condé, lui, l’aurait été davantage. « Il leur a tout d’abord énuméré les points de son programme économique qu’il avait achevés, puis ceux qui lui restent à faire. “J’ai un programme à terminer”, sous-entendant qu’il devait être remis dans ses fonctions », rapporte une bonne source.

A Conakry et au-delà des frontières guinéennes, ils ne sont pas nombreux à défendre ce scénario. « Ses pairs d’Afrique de l’Ouest acceptent qu’il ait été renversé, moins qu’il soit retenu », explique un diplomate guinéen. Jeudi 16 septembre, les quinze dirigeants des pays de la Cédéao réunis en sommet à Accra ont d’ailleurs implicitement tourné la page Alpha Condé. « Ils ont insisté pour que la transition [militaire] soit très courte (…) et [ajouté] que, dans six mois, il faudrait organiser des élections », a expliqué le président de la Commission de la Cédéao, Jean-Claude Kassi Brou.

Alpha Condé l’a-t-il entendu ? Sait-il qu’à l’extérieur la junte lance des consultations tous azimuts avec les partis politiques, la société civile, les entrepreneurs, les personnalités religieuses, le corps diplomatique… ?

Crainte d’une « contagion »

Dans son entourage, on s’accroche au passé : « Il ne faut pas sous-estimer l’animal politique, ni les ressources physiques d’un homme certes âgé de 83 ans. Il a fait de la prison, il a été condamné à mort par contumace, il a vécu en exil… Il sait ce que c’est que de résister. Il est vaillant et presque gonflé par cette adversité. »

Peut-être est-ce en raison de cette force personnelle, couplée à son réseau international et à une certaine popularité dans les campagnes guinéennes que certains préféreraient le voir sur le banc des accusés, plutôt qu’en exil à l’étranger. L’écrivain Tierno Monénembo explique ainsi dans un entretien à RFI qu’« il faut respecter sa vie, sa dignité et son honneur ». « Mais il faut qu’il passe devant un tribunal, qu’il s’explique sur sa gestion, sur la répression sauvage qui a causé des centaines de morts depuis qu’il est arrivé au pouvoir [en 2010] », ajoute l’intellectuel guinéen.

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Comme lui, ils sont nombreux à penser que l’action de la junte sera en partie jugée sur sa volonté de mettre fin à l’impunité. Celle du président mais aussi celle de ses collaborateurs, tous ceux qui ont violé les droits de l’homme ou se sont enrichis illégalement. Jeudi soir, la Cédéao n’a pas pris position sur ce sujet. « Les chefs d’Etat sont mal à l’aise. Ils estiment qu’Alpha [Condé] est le premier responsable de sa chute mais ils craignent la contagion », explique un ministre. L’organisation ouest-africaine a en revanche décidé de geler les avoirs financiers des nouveaux dirigeants du pays, et de leur imposer des interdictions de voyager.

 

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Le 17 septembre 2017

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